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délaissa l’exécution pour courir le Bambouck et quitta la colonie dès le mois de mars. Le commandant de Bakel se montra mou et celui de Médine inhabile à réunir les travailleurs indigènes sur les chantiers et à les tenir à la besogne. On avait compté en avoir un millier, à aucun moment on n’en eut la moitié. Seul le Logo, dont les habitans, rentrés sur leurs terres trop tard pour ensemencer, étaient menacés de la famine, en fournit régulièrement de cent dix à cent trente. Bref, au mois de mai, c’est-à-dire après une campagne de six mois, on avait obtenu Seize mille journées de travail en tout, et ces seize mille journées avaient produit, quoi ? 4,800 mètres de route. Il avait fallu onze journées d’indigènes pour équivaloir à une journée de terrassier européen. Ce résultat donne à réfléchir : on aura beau faire une large part à l’insuffisance de la direction, en faire une autre non moins grande à l’inexpérience des noirs convoqués, il n’en semble pas moins, après cet exemple, bien difficile de compter uniquement sur la main-d’œuvre indigène pour les grands travaux que nous méditons entre le Sénégal et le Niger. On devra faire appel soit aux terrassiers marocains et algériens, soit aux Chinois, à qui paraît devoir échoir maintenant l’exécution des grands travaux de l’industrie moderne. Ce n’est point là une difficulté.

Les indigènes se montrèrent plus aptes aux travaux du télégraphe. En arrivant dans la colonie, M. Brière de l’Isle avait trouvé une ligne établie de Dakar à Saint-Louis et de Saint-Louis à Podor. En 1877, il la fit pousser jusqu’à Dagana ; en 1878, la fièvre jaune empêcha tous les travaux ; en 1879, les perspectives nouvelles qui s’étaient ouvertes pour la colonie le déterminèrent à entreprendre de la continuer d’un seul coup jusqu’à Bafoulabé. Les nègres coupèrent dans la forêt et apportèrent sur leur tête, seul véhicule dont on disposât dans le pays, trois mille poteaux jusqu’aux endroits indiqués ; la flottille du Sénégal en monta deux mille huit cents, qui avaient été envoyés de France et, à l’heure actuelle, il ne reste plus que les sections de Saldé à Matam et de Matam à Bakel à faire pour compléter la ligne. C’est l’affaire de trois mois. Le télégraphe s’enfoncera dans le Soudan à mesure que nous nous y enfoncerons nous-mêmes. Mais, tandis que, de ce côté, il s’avancera comme un messager de la civilisation, il conviendrait de le mettre, de l’autre, en communication avec le foyer de cette civilisation. Le cable sous-marin de Lisbonne au Brésil a une station aux îles du Cap-Vert, en face du Sénégal ; il en coûterait 1,300,000 fr. environ pour le relie. à Dakar par un autre câble. Les communications entre la métropole et la colonie, qui demandent aujourd’hui, aller et retour de vingt à vingt-cinq jours, s’opéreraient en quelques heures. Avec l’importance exceptionnelle que le Sénégal va prendre, ce complément est indispensable à l’œuvre que nous y entreprenons.