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Heureusement pour elle, M. de Bismarck n’était pas encore ministre ; il avait accepté l’office de représenter son pays en Russie, et on assure qu’avant de partir pour Saint-Pétersbourg, il disait à l’ambassadeur de France à Berlin : « Ne me prenez pas pour un de ces imbéciles qui n’aiment pas la France, je voudrais une entente avec elle. » On assure qu’il disait aussi au baron de Schleiniz : « La politique expectante est une sottise. Commencez par offrir votre alliance à l’Autriche en lui donnant un quart d’heure pour accepter vos conditions, car il faut toujours garder quelque honnêteté dans la coquinerie. Si elle refuse, allez-vous en bien vite au quartier général français, et dites à l’empereur : « A nous deux ! » M. de Schleiniz eût été fort empêché à suivre ces conseils, son tempérament résistait ; il n’était pas l’homme de la politique impérieuse, de la politique des à-coups et des sommations. Il n’en est pas moins vrai que l’Autriche, poussée à bout et menacée dans son existence, n’eût pas tardé à devenir plus traitable, que faisant de nécessité vertu, elle se fût prêtée à quelque accommodement, qu’on aurait uni par s’entendre et que, de manière ou d’autre, la Prusse fût entrée en scène. Celui qui était alors prince-régent et qui est aujourd’hui l’empereur Guillaume a suffisamment prouvé qu’il n’était pas enclin à se croiser les bras, quand il avait quelque chose à craindre ou quelque chose à gagner.

Pendant ces allées et venues, Kossuth s’était rendu en Italie, où il organisait sa légion, et déjà l’éloquente proclamation qui devait insurger la Hongrie était entièrement rédigée, lorsque, peu de jours après la bataille de Solferino, il alla trouver l’empereur dans son quartier-général de Valeggio. Napoléon III lui fit l’accueil le plus cordial, le questionna, l’encouragea, l’approuva, le félicita. Toutefois il prononça, dans le cours de l’entretien, quelques mots significatif, qui n’étaient pas des phrases et qui ressemblaient à un avertissement. Il lui échappa de dire qu’il enverrait une armée en Hongrie, « si cela n’était pas absolument impossible, » que, si l’Autriche offrait à l’Italie une paix telle qu’il la pouvait désirer, l’expédition n’aurait pas lieu. Il conclut en disant : « Appliquez-vous à préparer une armée ; je vous donnerai l’argent et toutes les facilités nécessaires. » On croit facilement ce qu’on désire, et Kossuth se sentit comme précipité de ses glorieuses espérances, quand cinq jours plus tard retentit la terrible nouvelle qu’une suspension d armes venait d’être, signée à Villafranca. L’empereur avait fini par se défier de la Prusse, il craignait de se heurter contre une coalition, il s’était convaincu, comme il le dit au corps législatif, que les chances à courir n’étaient plus en proportion avec l’intérêt français engagé dans cette guerre sanglante. Bref, il avait rencontré le mur et il s’arrêtait. M. Piétri se présenta auprès de Kossuth, tenant à la main une lettre autographe qu’il venait de recevoir et qui était ainsi conçue : « La guerre