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nouveauté, c’est même une réaction étrange ; c’est l’état ayant la main partout,.. c’est l’empire ! » En d’autres termes, c’est la république reconstituant, par un dangereux calcul, le régime discrétionnaire à son profit, épuisant tout pour la domination, — pour une domination de parti.

Ah ! le goût de l’omnipotence, des représailles et de l’arbitraire, quand on est un parti victorieux, on ne s’en défend pas aisément sans doute. Rien n’est plus commode que de s’approprier sans façon les armes, les procédés dont on a si souvent reproché aux autres de se servir, — et comme la plaisanterie se mêle souvent aux choses sérieuses, il y a même des républicains qui s’étonnent plus ou moins naïvement de n’être pas toujours soutenus dans leur rôle nouveau de conservateurs de ce qu’ils appellent les droits de l’état ! Au fond, si on y regarde de près, le signe le plus caractéristique du moment, c’est cette sorte d’abandon avec lequel on épuise toutes les combinaisons de l’arbitraire et on prétend tout refaire, tout reconstituer ou tout juger dans un intérêt de parti. On commence par l’exécution sommaire et administrative des congrégations sans s’inquiéter si la loi est aussi claire qu’on le dit, si on ne va pas se heurter contre des libertés individuelles, contre des droits de propriété et de domicile qui, après tout, échappent à la haute police. On continue par l’exécution de la magistrature sans se demander si l’on ne va pas irréparablement affaiblir la plus puissante garantie de la vie sociale. L’arbitraire se mêle à tout, à un acte de parlement comme à une mesure d’administration, et le gouvernement, qui semblerait devoir rester le gardien de tous les droits, de toutes les garanties respectées, s’est désarmé d’avance contre l’envahissement universel. La rançon des décrets pour lui, c’est qu’il ne peut ni défendre la magistrature, ni combattre les tentatives d’usurpation parlementaire qui peuvent se produire. Autrefois il y avait des idées ou, si l’on veut, des utopies, des propositions de réformes plus généreuses que réalisables ; aujourd’hui il y a des expédions discrétionnaires au service des passions, des préjugés de parti, et même parfois des intérêts personnels.

Qu’est-ce donc que cette réforme ou cette prétendue réforme de l’ordre judiciaire, qui, après les décrets de mars, est devenue l’affaire la plus urgente, l’objet d’une sorte de passion fixe et qui a été expédiée en quelques séances, en toute hâte, comme une mesure de salut public ? Sans doute, si on l’avait voulu, si l’on ne s’était préoccupé en toute impartialité que du bien du pays, cette question d’une réforme de l’administration de la justice en France méritait d’être abordée. Depuis longtemps elle attire l’attention des esprits réfléchis, et dans cette discussion même qui vient d’occuper quelques journées de la chambre, il s’est trouvé des députés qui ont su prouver qu’ils en comprenaient l’importance. Un jeune représentant des opinions modérées, M. Ribot, a défendu avec autant d’indépendance que de talent les idées les plus vraies et les plus saines, les idées que le gouvernement lui-même