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voulu voir dans ce fouillis d’allégations une affaire de parlement, un objet d’enquête, et c’est justement ici que reparaît cette ardeur d’arbitraire qui se manifeste sous toutes les formes, à tout propos.

Évidemment ce n’est pas le droit d’ordonner et de faire une enquête qui peut être contesté à la chambre des députés. Le droit existe, il s’est exercé de tous les temps. Encore cependant faut-il que cette enquête ait des raisons précises, qu’elle s’applique à des faits déterminés ; sans cela elle s’engage dans le vague, dans une voie d’arbitraire indéfini. C’est précisément ce qui arrive aujourd’hui. Sur quoi va-t-elle porter cette enquête, qui a été acceptée en effet, qui n’a cependant été votée que dans la confusion, par une chambre partagée et incertaine ? La commission qui a proposé l’enquête assure qu’elle ne prend d’autre point de départ que « les faits révélés au cours du procès jugé le 12 octobre, » elle décline l’intention de s’occuper « des polémiques qui ont suivi. » — Non, dit-on d’un autre côté, ce n’est pas assez ; l’enquête doit s’étendre à tous les actes de l’administration de M. le général de Cissey. À qui faut-il croire ? Où est la limite ? S’il ne s’agit que des a faits du procès du 12 octobre, » c’est-à-dire des lettres de M. le général de Cissey lues dans une audience, ces lettres sont connues, elles ne sont pas niées et, de plus, elles ont été expiées ; il ne reste plus rien à voir ni à dire sur ce point. Si les recherches doivent s’étendre aux actes sans nombre de l’administration de la guerre pendant une certaine période, sait-on bien où l’on va ? Les opérations auxquelles M. le général de Cissey a présidé comme ministre, embrassent près de cinq années. Elles ont été soumises aux commissions du budget, à la commission de liquidation, à la cour des comptes. La commission nouvelle aura donc le droit de reprendre cette instruction, de revoir ce qui a été fait, de surprendre en défaut les commissions qui l’ont précédée ! Et pour entrer dans ce fourré quel fil conducteur a-t-on ? Des bruits, des allégations, ces « polémiques » qu’on ne veut pas connaître, des commérages, pas un fait précis, pas une présomption à demi spécieuse. M. le ministre de la guerre a bien essayé, si l’on veut, de détourner l’enquête en déclarant qu’il n’avait rien trouvé dans son département qui fût de nature à justifier les imputations dirigées contre M. le général de Cissey, en montrant les inconvéniens de l’œuvre qu’on allait entreprendre. Il est évident que s’il avait plus fermement insisté, si M. le président du conseil l’avait appuyé, si le gouvernement, en un mot, n’avait pas craint de s’exposer à un échec, il eût épargné à la chambre de tomber dans un piège où elle se sent embarrassée aujourd’hui, de s’engager dans une voie où une enquête, qui n’a rien de précis ni de plausible, est réduite par cela même à être un acte d’omnipotence arbitraire. Et qu’on prenne bien garde que l’arbitraire, parce qu’il revêt la forme parlementaire, ne cesse pas d’être l’arbitraire.

C’est là le danger, et ce qu’il y a de certain, c’est qu’avec tout cela