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carlovingienne, l’état psychologique et littéraire d’un Saxo Grammaticus, d’un Hrabanus Maurus, sont choses très claires pour moi. Le latin produisait sur ces natures fortes des effets étranges. C’étaient comme des mastodontes faisant leurs humanités. Ils prenaient tout au sérieux, ainsi que font les Lapons quand on leur donne la Bible à lire. Nous nous communiquions sur Salluste, sur Tite-Live des réflexions qui devaient fort ressembler à celles qu’échangeaient entre eux les disciples de saint Gall ou de saint Colomban, apprenant le latin. Nous décidions que César n’était pas un grand homme, parce qu’il n’avait pas été vertueux ; notre philosophie de l’histoire était celle d’un Gépide ou d’un Hérule par sa naïveté et sa simplicité.

La race bretonne est une race très chaste. Les mœurs de cette jeunesse, livrée à elle-même, sans surveillance, étaient à l’abri de tout reproche. Il y avait alors au collège de Tréguier très peu d’internes. La plupart des élèves étrangers à la ville vivaient dans les maisons des particuliers ; leurs parens de la campagne leur apportaient, le jour du marché, leurs petites provisions. Je me rappelle une de ces maisons, voisine de celle de ma famille, et où j’avais plusieurs condisciples. La maîtresse, digne femme s’il en fut, vint à mourir. Son mari avait aussi peu de tête que possible, et le peu qu’il en avait, il le perdait tous les soirs dans les pots de cidre. Une petite servante, une enfant extrêmement sage, sauva la situation. Les jeunes étudians résolurent de la seconder, la maison continua de marcher, nonobstant le vieil ivrogne. J’entendais toujours mes camarades parler avec une rare estime de cette petite servante, qui était en effet un modèle de vertu, et y joignait la figure la plus agréable et la plus douce.

Le fait est que ce qu’on dit des mœurs cléricales est, selon mon expérience, dénué de tout fondement. J’ai passé treize ans de ma vie entre les mains des prêtres, je n’ai pas vu l’ombre d’un scandale ; je n’ai connu que de bons prêtres. La confession peut avoir, dans certains pays, de graves inconvéniens. Je n’en ai pas vu une trace dans ma jeunesse ecclésiastique. Le vieux livre où je faisais mes examens de conscience était l’innocence même. Un seul péché excitait ma curiosité et mon inquiétude. Je craignais de l’avoir commis sans le savoir. Un jour, je pris mon courage à deux mains, et je montrai à mon confesseur l’article qui me troublait. Voici ce qu’il y avait : « Pratiquer la simonie dans la collation des bénéfices. » Je demandai à mon confesseur ce que cela signifiait, si je pouvais avoir commis ce péché-là. Le digne homme me rassura et me dit qu’un tel acte était tout à fait hors de ma portée.

Persuadé par mes maîtres de deux vérités absolues, la première que quelqu’un qui se respecte ne peut travailler qu’à une œuvre idéale, que le reste est secondaire, infime, presque honteux,