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N’est-ce pas que cette dernière phrase formerait une épitaphe d’une nouveauté peu commune et bien faite pour trancher avec les banalités élogieuses qui composent trop ordinairement ce genre de littérature funèbre ?

Ceux qui aiment fortement font, dit-on, les meilleurs haïsseurs. En était-il ainsi pour Davout ? Si l’énergie du caractère prouve quelque chose en telle matière, nous croyons bien que ses haines devaient être d’une solidité à l’épreuve de la mort et du temps ; ce qui est tout à fait certain, c’est qu’elles étaient aussi peu nombreuses que ses amitiés. Ce n’était pas le premier offenseur venu qu’il en honorait, et tout bien compté il n’y en a guère que trois qui aient été tout à fait sérieuses : Berthier, Murat et Bernadotte ; quant aux autres ennemis qu’on pourrait citer, il se contentait de ne pas les aimer, et nous ne voyons pas qu’il ait jamais dépassé à leur égard ce qu’on peut appeler la haine passive ou négative. Du reste, nous en sommes réduits aux conjectures sur ce sujet, car les haines de Davout sont parmi les moins loquaces qu’il y ait eu jamais. Ce qu’étaient ces haines pour Berthier et Murat, nous le savons par les scènes de Marienbourg, de Gumbinnen et autres, mais c’est Ségur qui nous l’apprend, et Davout n’ajoute rien à ce que nous a révélé l’historien de la grande armée. Tous ceux qui ont lu l’admirable récit de la campagne de 1812 se rappelleront certainement la dispute de Berthier et de Davout à Marienbourg en présence de l’empereur. Voici tout ce que nous rencontrons sur ce grave incident dans la correspondance du maréchal : « Je n’ai pas eu une occasion pour te donner de mes nouvelles depuis mon départ de Marienbourg, où j’ai eu le bonheur de voir l’empereur ; j’éprouvais ce besoin ; quelques mots de lui me donnent une nouvelle ardeur et me fortifient contre l’envie qui vous poursuit lorsqu’on ne s’occupe que de ses devoirs et qu’on fait tout pour les remplir. » Rien autre chose, on le voit, qu’une allusion indirecte et lointaine, si indirecte et si lointaine qu’il serait impossible de la remarquer si la date ne vous avertissait que ces discrètes paroles s’appliquent, non à quelqu’un de ces ennuis quotidiens dont toute profession est fertile, mais à une querelle mémorable que Ségur nous dit avoir été de la plus extrême violence. Pour Murat, la discrétion est plus grande encore. Dans les lettres écrites de Russie, nous ne surprenons pas la plus petite expression de colère, pas la plus petite trace de ressentiment qui puissent faire soupçonner à la maréchale quels orages il a soulevés ou subis, et il ne tient qu’à elle de croire que, fatigues physiques et périls mis à part, la vie de son mari est la plus sereine du monde. Il attend pour décharger son cœur que la campagne soit finie, mais à Thorn, après le départ précipité de Murat, il éclate enfin et se soulage de