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ministère et l’Académie. On en jugera par la façon dont il dépeint la physionomie de M. Necker, cette physionomie si connue, un peu lourde, à l’expression fine et hésitante. « Sa figure offre, dit-il, à l’œil observateur, de l’atrocité, du dédain, de l’égarement, de la moquerie, de la profondeur et de ? l’insensibilité. » Dans un autre fragment de ses ouvrages, il met en discussion entre trois émigrés le supplice qu’il conviendrait de faire endurer à M. Necker. L’un se prononce pour qu’il soit roué vif, l’autre pour qu’il soit écartelé, le troisième pour qu’on lui coupe le poignet et qu’on verse sur la blessure du plomb fondu.

Les études qui ont été entreprises depuis une trentaine d’années sur l’état de notre ancienne société ont montré à quel état de décomposition cette société, calomniée cependant sous certains rapports, en était arrivée, et ne permettent plus d’accumuler sur une seule tête un tel fardeau de responsabilités. Mais si le langage des historiens qui appartiennent à ce qu’on pourrait appeler l’école royaliste s’est adouci sur le compte de M. Necker, je ne voudrais pas jurer que le fond des sentimens ait beaucoup changé. Naguère un des écrivains les plus brillans et les plus spirituels de cette école, M. le comte de Ludre, dans une ingénieuse étude sur les causes de la révolution, parlait couramment des vices de M. Necker et de ses dehors répulsifs, comme s’il se fût agi de Mirabeau ou de Danton. D’un autre côté, ces modérés au parti desquels appartenait M. Necker, l’ont défendu comme en général les modérés se défendent entre eux, c’est-à-dire en cherchant à rejeter sur lui la responsabilité des fautes qu’on leur a reprochées. Aussi ne trouverait-on nulle part l’apologie de M. Necker si Mme de Staël, dans ses Considérations sur la révolution française, le baron Auguste de Staël, dans la notice qu’il a mise en tête des œuvres de son grand-père, ne s’étaient fait un devoir de l’entreprendre. Mais peut-être l’enthousiasme de la fille, le respect du petit-fils, enlèvent-ils quelque autorité à leurs appréciations. Bien que les années écoulées me laissent assurément plus de liberté d’esprit, je n’essaierai pas de refaire cette apologie, car ce serait sortir tout à fait du cadre de cette étude, où je ne me suis proposé de faire entrer que le tableau d’un salon. Je me bornerai à montrer quelles furent, pendant la durée des fonctions publiques qu’il exerça, les relations de M. Necker avec la société au sein de laquelle il vivait, et à choisir, parmi d’innombrables documens, quelques échantillons qui peindront l’état d’esprit de cette société à la veille du grand désastre. Peut-être la lecture de ces pages aura-t-elle cependant pour résultat d’inspirer quelque intérêt pour un homme qui, à tout prendre, dans un temps de folie compta parmi les plus sages, dans un temps de crimes parmi les plus honnêtes, et qui fut surtout la victime d’un immense