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l’administration des finances, après avoir établi le chiffre des sommes mises par l’impôt à la disposition du roi : « Je voudrais que l’administration ne vît pas seulement dans un pareil tableau la puissance politique du monarque, mais qu’elle y lût encore en lettres de feu l’effrayante étendue des sacrifices qui sont exigés des peuples. » Ce sentiment était assez nouveau chez un successeur des Emery et des Terray pour qu’il soit équitable d’en faire honneur à M. Necker et de revendiquer pour lui une part de l’éloge que Louis XVI décernait à Turgot lorsqu’il disait : « Il n’y a que M. Turgot et moi qui aimions le peuple. »

Ces communes préoccupations de philanthropie n’étaient pas le seul lien qui unît le monarque au ministre : il y avait entre eux plus d’une ressemblance : même irréprochable honnêteté dans la vie privée, même droiture dans les intentions politiques, et aussi même indécision lorsque s’imposait la nécessité de prendre et de suivre définitivement un parti énergique. Mais il y avait chez Louis XVI plus de simplicité et de détachement de lui-même, chez M. Necker plus d’esprit et de sagacité. Aussi les relations du roi et de son ministre furent-elles un perpétuel malentendu. Louis XVI croyait que les vertus privées dont il donnait l’exemple suffisaient pour tirer la France des difficultés où les abus du pouvoir royal l’avaient plongée et il rêvait pour son peuple un gouvernement paternel à la Louis XII. M. Necker, mieux au fait du mouvement des esprits, sentait qu’un changement dans la constitution du royaume était devenu nécessaire, et il aurait désiré préparer graduellement ce changement, tandis que Louis XVI était au contraire disposé à voir dans toute tentative de cette nature un attentat à l’autorité royale. Mais avec quelque sévérité que Louis XVI ait fini par juger la conduite politique de M. Necker, il n’a jamais prêté l’oreille aux calomniateurs qui s’efforçaient de lui dépeindre son ministre comme un conspirateur travaillant à la ruine de la monarchie. Et, de son côté, M. Necker, deux fois abandonné par le roi dans des circonstances où cet abandon lui fut assurément cruel, n’a cependant jamais perdu une seule occasion de rendre hommage en termes émus au prince qui avait mis en lui une confiance momentanée. Mme de Staël a eu raison, pour l’honneur de son père, de publier les lignes suivantes, qu’elle a retrouvées après sa mort et qui furent écrites par lui sous le coup de l’émotion que lui causa l’exécution de Louis XVI :


Ô Louis, excellent prince et le meilleur des hommes, qu’il n’y ait jamais un écrit de moi où je n’atteste vos vertus comme un témoin digne de foi, aucun où je n’appelle à votre défense le seul jugement durable, le jugement de la postérité. Innocente victime, s’il en fut