Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 42.djvu/813

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cette rebuffade adressée à son favori, et lorsque M. Necker, quelque temps après, donna sa démission, Mme Necker put écrire au curé d’une des paroisses de Paris : « Une consolation pour nous dans le monde, s’il en peut exister, c’est que la reine partage notre patriotisme ; elle a pleuré samedi toute la journée. »


Avec les autres membres de la famille royale, les relations de M. Necker n’étaient point aussi faciles. Nous trouverons tout à l’heure la main du comte d’Artois dans l’intrigue qui le renversa. Quelques mois après son arrivée à la direction générale des finances, il eut le périlleux honneur de se trouver en lutte directe avec Monsieur. Celui qui devait plus tard, sous le nom de Louis XVIII, rendre à la France un si insigne service et lui assurer dix de ses plus belles années, était alors fort préoccupé de faire valoir et d’augmenter sa fortune personnelle. Il avait d’abord sollicité la faveur d’être admis à constituer sur sa tête et sur celle de Madame un capital de 2,500,000 livres dans un emprunt viager. M. Necker ayant fait repousser cette demande, il introduisait alors une réclamation tendant au remboursement d’une créance de 1,064,191 livres 18 sols 3 deniers (rien n’était oublié) qu’il prétendait lui rester due sur la succession du dauphin et de la dauphine, ses père et mère. Il chargeait son intendant, Cromot, d’exposer à M. Necker cette réclamation tardive, et Cromot terminait sa lettre dans les termes suivans :


En m’acquittant des ordres de Monsieur, je dois vous prévenir qu’il lui est revenu que vous étiés dans l’opinion que cette affaire avoit été déjà traitée et même consommée avec vos prédécesseurs. Monsieur ne peut se persuader que vous ayez abondé dans une idée qui lui seroit aussi injurieuse, et si on avoit cherché à vous induire dans une semblable erreur, vous en sortiriés facilement, en faisant vérifier les faits dans vos propres bureaux. Je mettrai la réponse dont vous voudrés bien m’honorer sous les yeux de Monsieur qui l’attend avec impatience.


La demande était directe, la démarche pressante et la tentative d’intimidation à peine déguisée. Un ministre moins pénétré de ses devoirs que M. Necker aurait peut-être plié. Mais il n’hésita pas, et quelques jours après il répondait à Cromot une lettre habilement rédigée qu’à son tour il terminait ainsi :


Il est vrai, monsieur, que j’ai fait quelques recherches pour examiner si cette demande n’avoit pas déjà été formée ! Les raisons qui pouvoient me le faire croire étoient assez plausibles : connoissant votre activité pour les intérêts de Monsieur et votre intelligence, il me