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qu’à être curé de campagne ou professeur de séminaire, il y avait en moi un songeur. Durant les offices, je tombais dans de véritables rêves ; mon œil errait aux voûtes de la chapelle ; j’y lisais je ne sais quoi ; je pensais à la célébrité des grands hommes dont parlent les livres. Un jour (j’avais six ans), je jouais avec un de mes cousins et d’autres camarades ; nous nous amusions à choisir notre état pour l’avenir : « Et toi, qu’est-ce que tu seras ? me demanda mon cousin. — Moi, répondis-je, je ferai des livres. — Ah ! tu veux être libraire ? — Oh ! non, dis-je, je veux faire des livres, en composer. » Pour se développer, ces dispositions à l’éveil avaient besoin de temps et de circonstances favorables. Ce qui manquait totalement autour de moi, c’était le talent. Mes vertueux maîtres n’avaient rien de ce qui séduit. Avec leur solidité morale inébranlable, ils étaient en tout le contraire de l’homme du Midi, du Napolitain, par exemple, pour qui tout brille et tout sonne, Les idées ne se choquaient pas dans leur esprit par leurs parties sonores. Leur tête était comme un bonnet chinois sans clochettes ; on aurait eu beau la secouer, elle ne tintait pas. Ce qui constitue l’essence du talent, le désir de montrer la pensée sous un jour avantageux, leur eût paru une sorte de vanité, comme la parure des femmes, qu’ils traitaient nettement de péché. Cette abnégation exagérée, cette trop grande facilité à repousser ce qui plaît au monde par un Abrenimtio tibi, Satana, est mortelle pour la littérature. Mon Dieu ! peut-être la littérature implique-t-elle un peu de péché. Si le penchant gascon à trancher beaucoup de difficultés par un sourire, que ma mère avait mis en moi, eût dormi éternellement, peut-être mon salut eût-il été plus assuré. En tout cas, si j’étais resté en Bretagne, je serais toujours demeuré étranger à cette vanité que le monde a aimée, encouragée, je veux dire à une certaine habileté dans l’art d’amener le cliquetis des mots et des idées. En Bretagne, j’aurais écrit comme Rollin. A Paris, sitôt que j’eus montré au monde le petit carillon qui était en moi, il s’y plut, et, peut-être pour mon malheur, je fus engagé à continuer.

Je raconterai plus tard comment des circonstances particulières amenèrent ce changement, où je restai au fond très conséquent avec moi-même. L’idée sérieuse que je m’étais faite de la foi et du devoir fut cause que, la foi étant perdue, il ne m’était pas possible de garder un masque auquel tant d’autres se résignent. Mais le pli était pris. Je ne fus pas prêtre de profession, je le fus d’esprit. Tous mes défauts tiennent à cela ; ce sont des défauts de prêtre. Mes maîtres m’avaient appris le mépris du laïque et inculqué cette idée que l’homme qui n’a pas une mission désintéressée est le goujat de la création. J’ai toujours ainsi été très injuste d’instinct envers la bourgeoisie ! Au contraire, j’ai un goût vif pour le peuple,