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III

Le roi Victor-Emmanuel, au début d’une session, disait devant le parlement : « Il est temps de s’occuper plus attentivement de la marine, qui mérite, comme l’armée, l’affection du pays et les soins du parlement. » Le premier résultat de cette recommandation fut la suppression de l’ancienne flotte. On décida la vente du matériel arriéré, soit trente-deux bâtimens : sept cuirassés dont deux frégates, deux batteries flottantes, trois canonnières, treize bâtimens, vaisseau et frégates de vieille flotte ; le reste composé de navires de flottille et autres à aubes ou à voiles. La valeur approximative de l’ensemble avait été fixée à un certain nombre de millions. On en tira quelques dizaines de mille francs. Ils n’étaient pas propres à la navigation commerciale. Il eût été trop dispendieux de les adapter aux besoins de l’industrie. Ils ne trouvèrent pas d’acquéreurs et il fallut les démolir. Une discussion assez chaude s’était engagée sur l’emploi de l’argent. Il n’y eut pas d’argent et cela mit toutes les opinions d’accord. N’importe ! l’aliénation des bâtimens démodés était une grave détermination qui ne fut pas sans courage. Au lieu d’une flotte médiocre, l’Italie n’avait plus de flotte. C’était le cas de dire qu’elle avait « brûlé ses vaisseaux. » Mais elle vit bientôt naître l’espoir d’une nouvelle marine. Elle rajeunissait dans un bâtiment, le Duilio, qui n’avait pas encore son pareil et que le génie maritime italien voulait porter au plus haut degré de force et de perfectionnement.

Le Duilio a été construit à Castellamare. C’est un modèle nouveau. L’imitera-t-on dans les autres pays ? La question est incertaine. En théorie, c’est la perfection de l’art. Les essais de ce bâtiment ne laissent pas beaucoup d’incertitude malgré les critiques. En naîtra-t-il dans la pratique ? On ne sait jamais à quoi s’en tenir sur une arme tant qu’elle n’a pas subi l’épreuve de la bataille. Ce superbe vaisseau ne pourra être définitivement jugé que quand il aura « vu le feu. » L’occasion d’en recevoir « le baptême » ne s’est pas encore présentée heureusement depuis 1876, époque où il a été lancé. C’est un navire cuirassé à tourelles, en fer et acier. L’acier a été reconnu plus résistant que le fer et plus difficile à perforer. L’examen des cibles employées pour l’essai des canons de 100 tonnes en a démontré la supériorité. L’acier est donc mêlé au fer dans la construction de la coque même et de la cuirasse. Cet appareil protecteur est d’une épaisseur qui n’avait jamais été obtenue sur aucun navire et qui atteint 0m,55. Il résisterait aux canons ordinaires. Mais on adonné à ceux du Duilio un poids et une puissance encore inconnus, et les canons de 100 tonnes percent même une cuirasse de