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l’explication de l’action merveilleuse qui abolit la douleur sans troubler le jeu des fonctions vitales. On a proposé enfin d’autres agens, le protoxyde d’azote, le bromure d’éthyle, qui auraient les avantages de l’éther et du chloroforme, sans en présenter les risques. Tout cet ensemble de faits, de théories, d’inventions, mérite d’être connu, en dehors du corps médical, de ceux qu’intéresse le mouvement de la science ou le développement de ses applications.


I

Rien ne parut, en son temps, plus nouveau, plus inattendu, moins préparé que la découverte de l’anesthésie. Elle se produisait en Amérique au moment même où le Traité classique de médecine opératoire de Velpeau, édité à New-York, répandait parmi les médecins du pays la fameuse déclaration : « Éviter la douleur dans les opérations est une chimère qu’il n’est pas permis de poursuivre. » Le démenti était frappant. L’empirisme médical triompha donc une fois de plus, pour une invention qui semblait ne rien devoir à la science rationnelle, et il remercia le hasard qui ajoutait l’éther et le chloroforme à la liste de ses anciennes et heureuses trouvailles, le quinquina, l’antimoine et le mercure. — On est revenu aujourd’hui à une appréciation plus exacte. Les chimistes ont revendiqué une juste part de la découverte pour leur science et pour l’un de ses représentans les plus considérables, Humphry Davy ; d’un autre côté, des médecins érudits ont rattaché l’invention moderne à une longue série de tentatives antérieures et retrouvé les procédés d’insensibilisation en constant usage à toutes les époques depuis la plus haute antiquité jusqu’à nos jours.

Voir dans les essais très imparfaits des anciens les débuts de l’anesthésie actuelle, c’est aller un peu loin. Il ne convient d’accorder ni trop de crédit à des récits fabuleux ni trop de prix à des inventions incertaines. Toutes ces histoires nous racontent moins le réel succès que les vains efforts de ceux qui, dans tous les temps, ont rêvé de soulager les souffrances de l’humanité ; — à moins qu’elles ne nous disent les impostures des ambitieux qui, à l’aide de prétendus miracles, ont essayé d’étonner le populaire et de le soumettre. Des faits de ce genre sont relatés dans le Talmud et dans les livres parsis, qui nous montrent Zoroastre frappant l’imagination des multitudes en promenant sur des charbons ardens ses mains insensibles. On a évoqué un passé plus lointain encore, comme ce gentilhomme qui faisait remonter sa noblesse à Adam, l’anesthésie aurait ses premiers titres dans le berceau même du genre humain. Il y a quelques années, le très grave et très habile chirurgien Simpson, pressé très vivement par quelques théologiens