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résultats analogues. En Angleterre, les inhalations du gaz hilarant avaient une véritable vogue : les savans étrangers qui visitaient le pays étaient conviés à assister à des expériences de ce genre et à s’y soumettre eux-mêmes. C’est ainsi que Pictet (de Genève) eut l’occasion d’en voir le résultat sur M. Davy. « M. Davy se soumit le premier à l’essai, qui lui est très familier… Après un moment d’extase, il se leva de sa chaise et se mit à arpenter la chambre en riant de si bon cœur que le rire devint général ; il frappait du pied, remuait les bras et paraissait avoir besoin d’exercer ses muscles… Il nous décrivit comme très agréable toute la suite des sensations qu’il avait éprouvées. » Pictet lui-même respira à son tour le gaz hilarant en présence du comte de Rumford et d’un petit cercle d’amis. « J’entrai bientôt, écrit-il, dans une série rapide de sensations nouvelles pour moi et difficiles à décrire. J’entendais un bourdonnement ; les objets s’agrandissaient autour de moi. Je croyais quitter ce monde et m’élever dans l’empyrée. Je tombai ensuite dans un état de calme approchant de la langueur, mais extrêmement agréable ; j’éprouvais d’une manière exaltée le simple sentiment de l’existence et ne voulais rien de plus. En peu de minutes, je revins à l’état tout à fait naturel. »

Chose remarquable ! les expériences qui réussissaient si constamment partout ailleurs échouèrent en France et y furent sévèrement condamnées. Les chimistes français Proust, Vauquelin et, bientôt après, Thénard et Orfila, dressèrent contre le gaz hilarant un acte d’accusation en règle. Ils ne lui devaient que des sensations pénibles, une constriction douloureuse des tempes, les angoisses de la suffocation, un malaise prolongé : ils déclaraient avoir couru de graves dangers. « J’ai éprouvé, dit Orfila, de si vives douleurs dans la poitrine et une telle suffocation que je suis resté convaincu que, si j’eusse continué l’expérience, je n’en serais pas revenu. »

Pourquoi ces résultats si différens ? Les observations de Berzélius et, plus récemment, les recherches de M. Paul Bert, nous permettent de le comprendre. Mais, à cette époque, on ne le comprit point. On vit seulement que l’inhalation du protoxyde d’azote produisait des effets inconstans, quelquefois périlleux, et qu’il fallait acheter un plaisir passager au prix d’un danger redoutable. La prudence l’emporta ; les expériences cessèrent, et l’oubli se fit peu à peu. On avait cependant approché de bien près le but utile, la connaissance de l’anesthésie. M. Davy l’avait nettement aperçu : « Le protoxyde d’azote, avait-il dit, paraît jouir, entre autres propriétés, de celle d’abolir la douleur. On pourrait l’employer avec avantage dans les opérations de chirurgie qui ne s’accompagnent pas d’une grande effusion de sang. » La déclaration est précise et