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qui, dès le début de sa carrière, l’avaient entouré et l’avaient fait accepter dans tout le faubourg Saint-Germain comme quelqu’un qui en est, le désignaient pour une œuvre de tact mondain plutôt que de théologie, où il fallait savoir duper à la fois le monde et le ciel.

On prétend qu’au premier moment, surpris de quelque hésitation, M. de Talleyrand aurait dit : « Voilà un jeune prêtre qui ne sait pas son état. » S’il dit cela, il se trompa tout à fait. Ce jeune prêtre savait son art comme personne ne le sut jamais. Le vieillard, décidé à ne biffer sa vie que quand il n’aurait plus une heure à vivre, opposait à toutes les supplications un obstiné : « Pas encore ! » Le Sto ad ostium et pulso dut être pratiqué avec une rare habileté. Un évanouissement, une brusque accélération dans la marche de l’agonie, pouvait tout perdre. Une importunité déplacée pouvait amener un non qui eût renversé toute l’œuvre si savamment concertée. Le 17 mai, jour de la mort du vieux pécheur, au matin, rien n’était signé encore. L’angoisse était mortelle. On sait l’importance que les catholiques attachent au moment de la mort. Si les rémunérations et les châtimens futurs ont quelque réalité, il est clair que ces rémunérations et ces châtimens doivent être proportionnés à une vie entière de vertu ou de vice. Le catholique ne l’entend pas ainsi. Une bonne mort couvre tout. Le salut est remis au petit bonheur de la dernière heure. Le temps pressait ; on résolut de tout oser. M. Dupanloup se tenait dans une pièce à côté du malade. La charmante enfant que le vieillard admettait toujours avec un sourire fut dépêchée près de son lit. O miracle de la grâce ! la réponse fut oui ; le prêtre entra ; cela dura quelques minutes, et Dieu dut se montrer satisfait : on lui avait fait sa part. Le jeune catéchiste de l’Assomption sortit, tenant un papier que le mourant avait signé de sa grande signature complète : Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, prince de Bénévent.

Ce fut une grande joie, sinon dans le ciel, au moins dans le monde catholique du faubourg Saint-Germain et du faubourg Saint-Honoré. On sut gré de cette victoire sans doute avant tout à la grâce féminine qui avait réussi, en entourant de caresses le vieillard, à lui faire rétracter tout son passé révolutionnaire, mais aussi au jeune ecclésiastique, qui avait su, quoi qu’on en dise, avec une habileté supérieure, amener à bonne fin une négociation où il était si facile d’échouer. M. Dupanloup fut de ce jour un des premiers prêtres de France. Le monde le plus riche et le plus influent de Paris lui offrit ce qu’il voulut, places, honneur, importance, argent. Il accepta l’argent. Gardez-vous de croire que ce fût là un calcul personnel ; jamais homme ne porta plus loin le