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font inhaler le chloroforme à petites doses au moment du retour de chaque effort ; on appelle cela le procédé de Snow, ou encore « le procédé à la reine. » On a trop affecté en France de ridiculiser ce moyen. On nous a représenté la femme elle-même tenant à la main le mouchoir sur lequel le médecin jette quelques gouttes de chloroforme à l’approche d’une contraction nouvelle, et le portant vivement à son nez comme si elle respirait de l’eau de Cologne ou des sels anglais. Il est certain que, dans la grande chirurgie, ce procédé n’aurait pas beaucoup de chances de succès. Il a été essayé il y a quelque vingt ans, lorsque les premiers accidens mortels vinrent paralyser la hardiesse des chirurgiens. Les partisans de la méthode timorée, Gerdy, Blandin, Baudens, ne voulaient plus d’une anesthésie poussée à fond, et ils prétendaient se contenter d’une demi-anesthésie qui allégerait la souffrance et obscurcirait l’effet de la douleur.

Pour cela, au lieu de donner des doses massives, foudroyantes de chloroforme, il fallait procéder à petits coups, entrecouper les inhalations, les interrompre en donnant accès à l’air ordinaire. Mais en procédant ainsi, l’événement a prouvé que le chirurgien allait le plus souvent contre le but qu’il poursuit. Pour un cas d’indoloréité ou d’analgésie accidentellement obtenu, il y a cent cas de surexcitation violente, dans lesquels le malade épuise ses forces et celles des opérateurs qui le maintiennent.

Dans la pratique des accouchemens, le succès est beaucoup plus fréquent. Il semble qu’il y ait une grâce d’état pour la femme en travail. Les inhalations de chloroforme l’excitent rarement ; d’ordinaire, elles la calment et quelquefois l’insensibilisent sans lui faire perdre connaissance : dans tous les cas, elles sont sans danger.

Les usages de la méthode combinée ne sont pas exclusivement limités à la pratique des accouchemens. Elle a été employée avec profit dans la grande chirurgie, par MM. Rigaud et Sarrazin, à Strasbourg, par M. Guibert, par MM. Labbé et Goujon, à Paris, par M. Molow, à Moscou. Elle n’a pas dit son dernier mot. Lorsqu’on l’aura complétée, comme nous l’avons proposé, par l’addition de l’atropine, qui corrigera en partie l’action nauséeuse de la morphine et diminuera les dangers de syncope, elle pourra devenir un des agens les plus précieux de la chirurgie contemporaine.


IV

L’histoire des anesthésiques nous offre une série continuelle de réinventions. Tous les anesthésiques ont été découverts deux fois, souvent davantage. C’est le cas du bromure d’éthyle. Cette