Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 42.djvu/888

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

produisant simultanément, on était tombé dans l’erreur de croire qu’ils avaient entre eux une relation de cause à effet et que l’asphyxie était la raison de l’insensibilisation. C’était proscrire le protoxyde d’azote, car il n’aurait pu supprimer la sensibilité qu’en supprimant la vie même. Les expériences de M. Paul Bert ont prouvé, au contraire, que la coïncidence des deux phénomènes n’avait rien de nécessaire et que la propriété anesthésique du gaz était distincte et indépendante de son effet asphyxique. Le protoxyde d’azote exerce en réalité sur les centres nerveux une action propre qui, venant se superposer à l’asphyxie, lui imprime une allure particulière. Pour que cette action paralysante puisse se produire, il faut que la liqueur du sang contienne une quantité considérable de protoxyde : il faut qu’elle soit saturée. Si l’on mélange le gaz à l’air et qu’on le présente ainsi dilué au sang qui traverse les poumons, celui-ci n’en prend plus une dose suffisante pour paralyser les centres nerveux : il n’y a plus d’anesthésie. On voit par là l’inanité des efforts que H. Wells avait tentés. L’expérience établissait que le protoxyde ne devait être respiré ni pur ni mélangé ; ni pur, parce qu’en supprimant la sensibilité, il produit en même temps l’asphyxie, ni mélangé, parce qu’il cesse d’agir. L’asphyxie devant toujours contrarier l’anesthésie, l’usage du protoxyde se trouvait restreint à ces opérations de très courte durée, pendant lesquelles la respiration peut être suspendue sans danger réel. Lorsque les dentistes administrent du protoxyde pur, l’anesthésie apparaît trente ou quarante secondes après le début des inhalations. Chez les enfans, elle se montre déjà après une ou deux respirations. Le temps très court pendant lequel elle se soutient suffit à exécuter l’opération dans un état d’anesthésie complète et d’asphyxie commençante. — Dès les premières respirations, le patient est précipité dans une sorte d’ivresse ; le sol paraît se dérober sous ses pieds ; il perd tout point d’appui et se sent enlevé et transporté rapidement comme s’il s’élevait en ballon. Pendant ce temps, le pouls a des battemens petits et accélérés ; le visage se boursoufle et devient livide, les lèvres sont envahies par la coloration violette caractéristique de l’asphyxie. Tout ce tableau produit une impression pénible sur les assistans, et ils ont peine à se défendre d’une appréhension qui n’est nullement légitime, car la situation n’offre aucun caractère inquiétant. Pour qu’il y eût vraiment danger d’asphyxie, il faudrait prolonger pendant deux ou trois minutes encore l’action du protoxyde. Prévenu par des signes évidens que le point favorable a été atteint, l’opérateur n’a garde de le dépasser. Plutôt que de soutenir un état de choses qui deviendrait vite menaçant, il préfère répéter l’épreuve et faire son œuvre à deux reprises. Le retour à la condition normale est si complet et si rapide, qu’une seconde ou une troisième