Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 42.djvu/922

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

étaient à l’instant même colportés aux quatre coins de la grande ville, et qu’on y songe bien, si les talens du second ordre de ce temps-là sont et demeurent supérieurs aux talens du même ordre du temps présent, c’est à cette unanimité d’impulsion qu’ils le doivent. « Aussi, sachons-le tous, grands et petits, tant que nous sommes, il ne s’écrit pas actuellement une page de prose, il ne se fait pas un vers qui ne doive tribut à ces braves, à ces conquérans. » Ainsi s’exprime, et non sans raison, un excellent juge du camp, le doux et balsamique Asselineau, dans une étude bibliographique où sont catalogués, étiquetés, annotés selon leurs mérites une foule de noms bien autrement oubliés que le nom de Brizeux, et parmi lesquels il s’en rencontre encore au moins deux qui vaudraient la peine d’être comptés : celui d’Arvers pour un sonnet, et celui de Napoléon Peyrat pour une ode intitulée : Roland et digne d’être assortie aux plus flamboyans fleurons des Orientales.

En 1831, Brizeux et Barbier firent ensemble le voyage d’Italie, et de cette excursion plus esthétique encore que pittoresque au pays de Raphaël, de Michel-Ange et de l’Alighieri, Barbier nous rapporta le Pianto. et Brizeux les Ternaires. Ce volume, d’un titre assez bizarre, trahit chez le poète une préoccupation désormais exclusive de la forme ; vous n’y respirez plus la fraîcheur idyllique du gentil roman de Marie ; le vers est laborieux, le sentiment morose et saccadé, le mal du pays, qui de jour en jour envahit davantage cette âme de Breton, déjà vieillissant, fournit ici la note dominante. Un pauvre diable de petit Italien passe en jouant de la cornemuse, et voilà que la Bretagne se montre à lui avec son océan, ses genêts et ses légendes :


O landes, ô forêts, pierres sombres et hautes,
Bois qui courrez nos champs, mers qui battez nos côtes,
Villages où les morts errent avec les vents,
Bretagne, d’où te vient l’amour de tes enfans ?
Des villes d’Italie où j’osai, jeune et svelte,
Parmi ces hommes bruns montrer l’œil bleu d’un Celte,
J’arrivai, plein du feu de leur volcan sacré,
Mûri par leur soleil, de leurs arts enivré ;
Mais dès que je sentis, ô ma terre natale,
L’odeur qui des genêts et des landes s’exhale,
Lorsque je vis le flux et reflux de la mer
Et les tristes sapins se balancer dans l’air ;
Adieu les orangers, les marbres de Carrare !
Mon instinct l’emporta, je redevins barbare.
Et j’oubliai les noms des antiques héros
Pour chanter les combats des loups et des taureaux.


Célébrer son coin de terre, revenir à sa bucolique, à ses tableaux de genre, sera maintenant la tâche unique de ce maître chanteur plein de savantes mélodies et qu’on eut tort jadis de prendre pour un naïf.