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imaginé pour suffire à de grandes tentations, pour couvrir des fantaisies ou des erreurs accumulées, pour s’affranchir des règles d’une correcte économie. Il a cela de dangereux qu’il offre toute facilité pour faire passer dans le budget extraordinaire toute sorte de dépenses qui sont de l’ordre le plus ordinaire, mais qui sont parfois gênantes. On renvoie au budget d’emprunt des crédits pour les postes, pour la bibliothèque nationale, pour l’Algérie, de telle sorte qu’en définitive l’équilibre qui reste dans le budget ordinaire est assez factice. Il est le produit de subtilités, de déplacemens de crédits. Dans ces conditions, que peuvent signifier les dégrèvemens qu’on propose bruyamment, dont on est si fier ? Il est clair qu’ils n’ont pas toute la valeur qu’ils pourraient, qu’ils devraient avoir, et qu’ils n’auraient vraiment que s’ils étaient réalisés dans une situation plus complètement régulière. Aujourd’hui ils ressemblent un peu à de l’ostentation, à des combinaisons de fantaisie imaginées pour capter une certaine popularité. — On dégrève d’un côté, on ouvre l’emprunt en permanence d’un autre côté ! Tout cela est sans doute spécieux et peut faire, si l’on veut, une sorte d’illusion. Ce n’est probablement pas encore ce que le baron Louis aurait appelé gouverner sagement l’abondance. Il n’aurait pas conseillé de dégrever et d’emprunter à la fois, lui qui répétait sans cesse à ses jeunes amis, à M. Thiers, à M. Duchâtel, qu’il fallait amortir pendant la paix pour pouvoir dépenser quand il le faudrait, aux heures décisives où la France aurait besoin de toutes ses ressources, de toute sa puissance de crédit.

La fortune d’une grande nation ne ressemble pas sans doute aux fortunes privées. Elle ne s’administre pas et ne se gouverne pas de la même manière, par les mêmes procédés. Un pays populeux, laborieux, perpétuellement actif et toujours renouvelé ne peut pas s’en tenir aux règles d’une stricte et méticuleuse économie. Il est tout simple que pendant la paix il use de cette prospérité qui est le prix de ses efforts pour développer les entreprises, les travaux qui ouvriront à l’activité nationale des carrières nouvelles, qui seront une source de richesse. Ce qu’il dépensera lui sera payé au centuple. Tout cela est possible dans une certaine mesure, sous certaines réserves, à la condition, par exemple, qu’on n’oublie pas qu’il y a dix ans à peine, la France est sortie de la plus cruelle, de la plus effroyable des crises avec plus de vingt milliards de dettes qui ne cessent de peser sur elle, dont elle n’est malheureusement pas dégrevée. Cette France éprouvée et meurtrie de 1871, elle s’est relevée matériellement, nous le voulons bien, elle a retrouvé sa fécondité ; elle est de force à tenir tête à toutes les difficultés, à porter tous les fardeaux, et l’expansion de richesse qui se produit, qui excite le lyrisme officiel, montre ce qu’il y a toujours en elle de vitalité, d’énergie réparatrice : soit ! La France est riche ; mais enfin elle n’est pas sans éprouver pas instans d’indéfinissables fatigues dont le