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sermon : « Si nous montons sur les ailes des vents et que nous traversions les airs, c’est sa main qui nous guide, et il est le Dieu des îles éloignées où on ne le connaît pas comme des royaumes et des régions qui l’invoquent[1] : » et voilà de ces traits, voilà de ces phrases qui font par momens qu’on lui pardonne tout. Ou plutôt encore, on se prend à penser que la critique, presque toujours frappée d’un seul aspect des choses, tantôt trop indulgente aux beautés ou tantôt trop sévère aux défauts, pourrait bien ne pas avoir suffisamment appuyé sur l’intime solidarité qui fait de certains défauts comme un prix convenu dont on paierait de certaines beautés. Il ne nous paraît pas prouvé, comme on continue de le dire quelquefois, que la première des vertus de l’écrivain ou de l’orateur, soit de n’avoir point de défaut.

Ce qui du moins est certain, c’est que, si Massillon ne se fût pas exercé de la sorte à ce que l’on pourrait appeler la gymnastique de la périphrase, il n’aurait jamais eu de ces fortunes d’expression qui sont chez lui si nombreuses et si heureuses, « Le citoyen obscur, en imitant la licence des grands, croit mettre à ses passions le sceau de la grandeur et de la noblesse[2] ; » ou encore : « Les louanges — qu’on donne publiquement aux grands — ne font que réveiller l’idée de leurs défauts, et à peine sorties de la bouche même de celui qui les publie, elles vont, s’il m’est permis de m’exprimer ainsi, expirer dans son cœur qui les désavoue[3] ; » ou encore : « Et l’on va porter aussitôt, — en sortant d’entendre le prédicateur, — au milieu du monde et des plaisirs l’aiguillon secret que la parole de Dieu a laissé dans le cœur, afin d’y trouver une main flatteuse qui l’arrache et qui referme la plaie d’où devait sortir la guérison[4]. » On l’a dit, mais il faut le redire, dans ces endroits, Massillon est vraiment inimitable. C’est que ce ne sont plus ici de ces périphrases, comme tout à l’heure, qui ne servaient qu’à relever un terme banal ou déguiser un terme propre : mais on peut dire qu’elles prolongent le terme banal au-delà de son ordinaire usage, et qu’elles diversifient d’une nuance nouvelle la signification coutumière du terme propre. Ajoutez que, comme les mots, quelque abus que l’on en fasse, ne cessent pas de représenter des idées, ces finesses mêmes de langage deviennent un instrument de précision pour l’analyse psychologique. On ne prétendait qu’à dire finement, et il se trouve que l’on a finement pensé. L’écrivain, attentif uniquement au choix de ses expressions, ne poursuivait qu’un effet de style ; il l’atteint ; et voici que de la rencontre de quelques mots

  1. Sur le respect dans les temples.
  2. Sur les exemples des grands.
  3. Sur la fausseté de la gloire humaine.
  4. Sur la parole de Dieu.