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empêché le jeune prêtre de l’Oratoire de prononcer un fort beau discours pour la bénédiction des drapeaux du régiment de Catinat. Il n’y a pas là d’inconséquence. Assurément Bossuet parle plus juste quand il nous dit de son style fort et ferme « qu’il n’y a que les faux dévots qui croient les armes défendues aux chrétiens. » Mais enfin Massillon n’est coupable ici, comme trop souvent, que d’un excès de rhétorique. Voici cependant le malheur, et l’observation me semble vraie de Massillon dans la même mesure à peu près que Fénelon, c’est que, quand la rhétorique et la sensibilité s’allient, on voit naître l’esprit d’utopie.

C’est le secret de la popularité de l’évêque de Clermont et de l’archevêque de Cambrai parmi les encyclopédistes. Ce sont deux grands hommes, et ce sont deux prêtres. Mais en vain ont-ils cette redoutable connaissance de l’humaine perversité que doit donner l’expérience du confessionnal et de la direction des consciences à des gens tels qu’ils sont l’un et l’autre. Leur sensibilité les entraîne, et je ne vois pas qu’ils aient jamais fait ni l’un ni l’autre aucun effort pour se raidir et résister contre cet entraînement. Ils rêvent donc l’un et l’autre d’un âge d’or à venir, et dans le Petit Carême de l’un comme dans le Télémaque de l’autre, deux livres que l’on associe presque involontairement et dont les titres viennent ensemble sous la plume presque sans qu’on y songe, on voit flotter je ne sais quelles visions riantes, quels généreux espoirs, mais aussi quelles étranges chimères. Certes, il n’y a pas grand mal à ce qu’Idoménée promène Mentor dans les campagnes de Salente et que, de projets en projets, ils se forgent ensemble une félicité qui les fait pleurer de tendresse. Il n’y a pas non plus grand mal à ce que Massillon nous dépeigne le bonheur des justes sous les couleurs de l’idylle champêtre : « Les saintes familiarités et les jeux chastes et pudiques d’Isaac et de Rébecca dans la cour du roi de Gérare suffisaient à ces âmes pures et fidèles ; c’était un plaisir assez vif pour David de chanter sur la lyre des louanges du Seigneur ou de danser avec le reste de son peuple autour de l’arche sainte ; les festins d’hospitalité faisaient les fêtes les plus agréables des premiers patriarches, et la brebis la plus grasse suffisait pour les délices de ces tables innocentes[1]. » Il n’y a pas grand mal, mais il y a bien de la naïveté. La cour de France n’est pas la cour du roi de Gérare. Il y a bien du mensonge poétique aussi. De danser avec son peuple autour de l’arche sainte, ce n’a pas toujours été pour David « un plaisir assez vif. »

Ce qui est plus grave, comme pouvant avoir des conséquences plus graves, c’est peut-être de présenter aux yeux d’un jeune roi

  1. Sur le malheur des grands qui abandonnent Dieu.