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nécessaires aux points où ils se trouvaient, ne pouvaient guère être utilisés que lorsqu’ils changeaient de station entre eux. Or la plupart avaient besoin de réparations, et quelques-uns étaient fort vieux. Le Brandon venait de faire une grave avarie de machine ; la Tempête et la Sainte Barbe n’étaient plus propres à naviguer et pouvaient, tout au plus, durer quelque temps encore dans les rivières. Il y avait, il est vrai, sept transports à Vera-Cruz, mais cela même était un embarras. Ils attendaient d’un jour à l’autre des troupes qui rentraient en France et que le déplorable état des chemins retenait en marche. Pour en disposer, même momentanément, il eût fallu leur donner du charbon qu’on n’avait qu’en petite quantité, car ils avaient consommé pour la plupart le très mauvais combustible qu’ils avaient pris en excédent à la Martinique pour l’amener à Vera-Cruz. En attendent, par la prolongation de leur séjour, ils épuisaient Vera-Cruz en vivres, surtout en vin. Déjà, si les troupes ne devaient décidément point s’embarquer dans un court délai, il était question de renvoyer les transports à la Martinique, c’est-à-dire à huit cents lieues, pour les en faire revenir au moment opportun. Ces petites misères, qu’on aimait à ne pas croire sérieuses au moment d’un dénoûment, en apparence heureux et prochain, étaient pourtant une gêne et une inquiétude que chaque jour, loin de les diminuer, accroissait.

On espérait beaucoup de l’expédition centre Oajaca, mais les inondations venaient de l’arrêter dans sa marche. Cela était d’autant plus regrettable que les nouvelles de Carmen, du Tabasco et du Yucatan n’étaient plus aussi bonnes qu’elles eussent pu l’être.

Le trait principal de l’existence politique mexicaine est l’anarchie. De temps immémorial on y vit de désordre, de compétitions de général à général, de chef de bandes à chef de bandes, de rivalités de province à province, de ville à ville. La concussion, les rapines, les exactions sont des faits normaux, acceptés, décorés de noms presque honnêtes. Cela est ainsi, on s’y fait, on n’en souffre même pas trop, et les gens qui appellent l’ordre de tous leurs vœux sont en très petit nombre. La population mexicaine n’a pas en administration la notion du bien et du mal. C’est là un des écueils où se sont brisées nos tentatives de réorganisation. On n’a jamais cru à notre bonne foi, à nos intentions loyales, et l’on s’est moqué de nos atermoiemens et de notre douceur. Peut-être ne rétablit-on l’équilibre moral dans les natures perverties que par la terreur et non par la persuasion. Où l’impunité cesse par le châtiment, la conscience s’éveille. Un homme très calomnié et sur lequel nous reviendrons, le colonel du Pin, l’avait compris, et son système d’implacable sévérité l’emportait de beaucoup sur nos impuissantes théories civilisatrices. C’était un officier dont, dans les provinces soi-disant