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loin de cette maison était un dépôt de charbon pour le cas où un bâtiment ne pourrait pas venir au fort. Au Mexique où, sur presque toute la côte, on est obligé de se tenir à grande distance de terre, et prêt à prendre le large à la première approche du mauvais temps, demeurer à Sacrificios, c’est être à la mer avec une ancre au fond. Et pourtant le triste îlot où sont les tombes de tant de marins, dont on voit s’élever les croix de bois ou les pierres blanches au-dessus de petits roseaux, se trouvait être une ressource pour délasser les équipages d’un long séjour à bord, car les récifs empêchent d’aborder la grande terre située vis-à-vis. Ce cimetière de marins, en l’absence de plaisirs de tout genre, était devenu un lieu de distraction.

C’est alors que le maréchal Bazaine appela le commandant Cloué auprès de lui. Le maréchal était à Mexico, où il attendait des nouvelles de l’expédition d’Oacaja, d’après lesquelles il irait lui-même diriger les opérations et prendrait une décision définitive au sujet de ce que la marine aurait à faire soit au Goazocoalcos, soit au Tabasco.

La première intention du maréchal à ce sujet avait été de donner à la marine la contre-guérilla du Pin, mais, le colonel n’ayant pas fini d’opérer dans le Tamaulipas, il était question d’utiliser le départ du 2e régiment de zouaves et d’en distraire un bataillon pour faire l’expédition de Tabasco, ce qui menacerait en même temps les communications des dissidens du côté de Oacaja avec les provinces situées plus à l’est. Aux dernières nouvelles, le général Courtois d’Hurbal était à Etla, à quatre lieues d’Oacaja. Il y attendait son parc et se disposait à faire des reconnaissances sur la place. C’était le résultat de ces reconnaissances qui semblait devoir déterminer le maréchal à se rendre de sa personne sur le lieu des opérations.

Toutefois, les conséquences fâcheuses de ces retards s’accentuaient de plus en plus. L’expédition qu’on avait le projet de faire au Yucatan contre les Indiens rebelles et le voyage de l’empereur Maximilien dans cette province en étaient ajournées. Il régnait partout une agitation fébrile, provenant d’une sorte de mot d’ordre donné par les dissidens pour se mettre en mouvement partout à la fois et empêcher ainsi le maréchal d’appeler un grand nombre de troupes au siège d’Oacaja. Cette agitation était produite encore par le clergé, qui protestait sourdement par tous les moyens contre le décret de l’empereur relatif aux biens de l’église et à ses relations avec l’état. Un certain général, Vicario, qui était avec nous depuis deux ans, venait de nous tourner le dos. Il s’était prononcé pour la très sainte Trinité et avait pris la campagne en entraînant avec lui trois cents hommes de ses troupes. Du reste, la plupart des officiers mexicains prisonniers, revenant de France, étaient