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faire. Ce n’était pas un motif pour qu’on offrît ce spectacle de la France d’aujourd’hui, de la république, allant chercher des armes dans l’arsenal de tous les absolutismes, procédant administrativement comme la vieille monarchie ou comme l’empire, de telle façon que dans ce tourbillon de courans contraires, entre des réactions opposées, également violentes, c’est la liberté qui en définitive est l’éternelle victime. On voulait savoir si de vieilles lois existaient, si on pouvait s’en servir encore ; il y avait un moyen bien simple, c’était de s’adresser à la plus haute et la plus impartiale des autorités : la cour de cassation. On ne cache pas la mauvaise humeur et les mauvais desseins contre la loi de 1850 qui a fondé la liberté de l’enseignement : que n’aborde-t-on la question de front au lieu de cerner la loi de toutes parts et de la détruire par morceaux, par toutes sortes de mesures subreptices et de dérogations partielles ? On prétend sérieusement, sans rire, que l’enseignement du catéchisme et les crucifix doivent être bannis des écoles primaires parce qu’avec le régime nouveau de l’obligation, il faut respecter la liberté des enfans de ceux qui ne croient à rien. Soit, il faut respecter ceux qui ne croient à rien ; mais enfin, pourquoi, par la même occasion, dans une loi faite pour tout le monde, ne tiendrait-on pas aussi quelque compte de l’immense majorité de ceux qui ont des croyances, qui n’ont point apparemment perdu tout droit aux sollicitudes de l’état ? Ceux qui font la loi semblent en vérité infiniment plus préoccupés d’assurer le triomphe de leurs idées que de respecter la conscience des enfans de sept ans ou de leurs parens. Ils ne voient pas qu’ils tentent une entreprise d’une nature essentiellement absolutiste, une révolution morale et intellectuelle par l’autorité de l’état, avec les ressources de l’état, dans l’intérêt d’une domination exclusive. On s’est amusé, dans une des récentes discussions sur les écoles primaires, du catéchisme officiel que Napoléon avait fait rédiger pour élever les enfans dans le culte de l’empire. On a plaisanté et on n’a pas regardé ce qu’on faisait. L’enseignement civique tel qu’on l’entend ne différera pas beaucoup du catéchisme napoléonien, — si ce n’est qu’il aura une autre couleur ; voilà le progrès !

Quoi donc ! depuis près d’un siècle la France, à travers les révolutions et les régimes qui se succèdent, est à la recherche des avantages d’une société libre, et dans cette longue, dans cette laborieuse et dramatique carrière, il est certain que des garanties ont été acquises. Il s’est formé à travers tout une tradition libérale constante, incessamment développée, quelquefois avec le concours des gouvernemens, quelquefois par des victoires sur les gouvernemens. S’il y a eu des éclipses momentanées, il y a des droits qui sont incontestés, qui ont résisté à tout, auxquels le progrès des mœurs a donné en quelque sorte un sens nouveau et une force nouvelle. Pendant plus de cinquante ans, on nous a appris que le domicile était inviolable, que la liberté individuelle