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accompagnée cette heure de transition entre le passé d’hier et l’avenir de demain ? Il n’y a eu sans doute depuis un an aucun de ces événemens retentissans et décisifs qui changent la destinée des peuples ; il n’y a eu ni révolutions ni guerres. La paix n’a pas cessé de régner sur le continent ; elle est restée sous la sauvegarde de la bonne foi publique, sous la protection de ce qu’on est convenu d’appeler le concert européen. Les cabinets se sont entendus pour limiter les incidens et détourner les orages, pour prolonger une trêve qui répond à un désir général, à un intérêt universel. Ce serait cependant une singulière illusion de ne pas commencer par reconnaître que, sous le voile des bonnes volontés pacifiques, il y a de dangereuses dissonances, que ce concert européen, qui est la garantie de la paix, est malheureusement assez factice, assez précaire et que bien des difficultés sont réservées ou ajournées plutôt que résolues. Depuis l’époque où lord Palmerston prétendait qu’il y avait en Europe de quoi allumer une demi-douzaine de guerres et qu’une allumette suffirait, les choses n’ont pas beaucoup changé, si ce n’est que la plupart des guerres prévues par le ministre anglais ont éclaté et que l’Europe ne s’en trouve pas mieux ; elle reste tout au plus en face de problèmes nouveaux ou de problèmes aggravés. La dernière de ces guerres, pour ne parler que de la plus récente, est celle que la Russie a portée en Orient, qui s’est terminée par la paix de Berlin, et la question est encore aujourd’hui de savoir quelles seront les suites de cette grande subversion orientale, comment l’Europe arrivera à une réalisation complète des combinaisons qu’elle a solennellement sanctionnées. Depuis plus de deux ans déjà, la diplomatie est au travail par des commissions mixtes, des conférences, des négociations de toute sorte ou des démonstrations : elle n’est pas au bout, et la partie de l’œuvre que l’année expirante lègue à l’année nouvelle n’est peut-être pas la moins difficile.

Ce qui dépendait immédiatement des puissances limitrophes de la Turquie, ce qui intéressait particulièrement, directement, la Russie et l’Autriche, est sans doute réalisé. Sous l’influence de la Russie, la Bulgarie nouvelle est à peu près constituée. L’Autriche s’est établie dans la Bosnie et dans l’Herzégovine, où elle règne en vertu d’un droit d’occupation qui équivaut à un droit de souveraineté. Le reste est livré aux contestations, au jeu des négociations, et ici visiblement l’Europe n’échappe à une difficulté que pour se retrouver en face de difficultés nouvelles. On vient de le voir par cette singulière affaire du Monténégro, de la cession de Dulcigno, qui pendant quelques mois a occupé et a même fini par importuner l’opinion universelle. Rien ne se fait aisément en politique, nous le voulons bien, rien n’est aisé surtout avec les Turcs. La pire des choses est encore d’offrir pendant de longues semaines ce spectacle de six grandes puissances engagées dans une