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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 43.djvu/324

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les très jeunes gens peuvent être moissonnés avant d’avoir rendu le plus petit service. Je voudrais qu’ils se formassent au métier des armes dans de bons dépôts et que ceux qui doivent marcher de suite soient bien forts. Mais de quoi se mêle mon Aimée ? vas tu dire. Elle se mêle de désirer que la force soit réelle au lieu d’être apparente, pour que la paix soit promptement rendue à l’Europe, et par suite le bonheur à l’on Aimée, toute à toi jusqu’à son dernier soupir. » Il semble aussi, symptôme fâcheux sous un tel régime, que l’on commence à parler beaucoup, que l’on est à l’affût des nouvelles et qu’une des grandes préoccupations du moment est de s’informer. On disait hier dans le cercle de l’impératrice ; la comtesse Compans vient de m’assurer ; je tiens de la duchesse de Castiglione, — les lettres de la maréchale sont pleines de ces on-dit qui toujours se rapportent à quelque mauvaise nouvelle. Faux bruits, répond invariablement Davout, bruits qu’il faut regarder comme des manœuvres de l’ennemi, qui chante à chaque instant des Te Deum menteurs à nos oreilles et nous inonde de libelles anonymes. Te Deum et libelles peuvent être menteurs, ils n’en témoignent pas moins de l’acharnement toujours croissant de l’ennemi à provoquer la défection chez les quelques alliés qui nous restent, la rébellion chez les populations soumises et, s’il se peut, la désertion parmi nos propres troupes. Pendant le mois qui suit l’armistice, la maréchale parle encore librement, mais le mois d’octobre venu, sur une lettre où elle trahit un peu trop vivement ses inquiétudes, Davout l’engage à se renfermer dans les nouvelles qui concernent sa santé et ses enfans, parce que ses lettres, n’arrivant plus aussi directement que par le passé, peuvent tomber entre les mains de l’ennemi, ce qui veut dire : « Je suis cerné plus étroitement que précédemment, les partisans se montrent en plus grand nombre et avec plus d’audace. » Enfin, dans les derniers jours d’octobre, cette correspondance presque journalière cesse brusquement. C’est que le désastre de Leipsick a eu lieu et que Davout, séparé désormais irrémédiablement de l’armée et de la France, a été obligé de s’enfermer dans Hambourg et d’y attendre que les événemens viennent le relever de ce poste de combat.

C’est seulement alors que commença la véritable défense de Hambourg. Il en faut lire les détails dans la relation du général César de Laville, relation incorrecte sans doute, mais où parle cette éloquence des faits que ne remplace aucune adresse de langage. Davout y apparaît admirable. Cette tâche, ingrate jusque-là, il la vivifie de tout le feu de son génie militaire et la relève jusqu’à l’héroïsme. Rarement on vit dans l’histoire militaire d’aucun peuple exemple d’une aussi prévoyante activité et d’une telle constance. Le voilà seul désormais, coupé de ses communications avec la