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et la physionomie pittoresque de leurs noms. Nous nous sommes si bien monté la tête, que nous avons télégraphié à Roscoff et loué d’avance un logement pour quinze jours. — Je le décide à aller sans plus tarder faire connaissance avec la station que nous avons choisie, et nous voilà en voiture…

Nous partons, heureux comme des enfans qu’on mène au spectacle pour la première fois, et qui, au moindre frémissement du rideau, tendent le cou, écarquillent les yeux, s’attendant à chaque instant à contempler des choses merveilleuses. Nous aussi, à chaque tour de roue, nous penchons la tête et nous nous préparons à de continuelles surprises.

Cependant la voiture longe d’abord la rivière, où les grands arbres de la colline étendent leur ombre rafraîchissante. Des filles en toilettes sombres, en coiffes blanches, se promènent sagement, deux à deux, sur la route ; quelques-unes s’assoient sur l’herbe des talus et y restent immobiles à regarder la rivière, les bateaux et les arbres : on sent que c’est là leur grande distraction du dimanche. — La route quitte la vallée, et notre véhicule gravit une montée longue et rapide. Le paysage est triste et monotone : rarement un village, de temps en temps un cours d’eau où reflue la mer et d’où nous arrivent des odeurs salines ; presque toujours de hauts plateaux de bruyères aux ondulations lentes. Au bout de deux heures, voici enfin Saint-Pol-de-Léon sur une éminence, avec ses tours et ses clochers qui font ressembler de loin cette petite ville à une vaste église. Nous admirons, en passant, les flèches jumelles de la cathédrale et le clocher aérien du Creizker, si léger et si ajouré qu’il a, dit la légende, été bâti par les anges ; puis le rude pavé de la vieille cité épiscopale fait place à une chaussée en graviers, et nous roulons sur le chemin de Roscoff, entre deux murs de pierres sèches, au-dessus desquels des plants d’artichauts montrent leurs têtes écailleuses. — Ces cultures potagères m’inquiètent ; -je regarde Tristan à la dérobée, pour me rendre compte de l’impression qu’elles produisent sur lui, mais il s’est penché à la portière et il est absorbé dans la contemplation des flèches fuyantes de Saint-Pol. — Voici Roscoff ; la voiture enfile une rue bordée de maisons basses et d’aspect maussade ; au fond, une église renaissance élève au-dessus d’un massif d’ormes sa tour ornée de balustrades et ses clochetons en poivrières.

— L’église a bonne mine, et voilà qui s’annonce bien ! dis-je à Tristan d’un air que je m’efforce de rendre aussi satisfait que possible.

Il me répond par un hochement de tète, et, comme nous avons grand’faim, tandis qu’on descend nos bagages, nous entrons tout