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l’assaillent de chaque côté, la compriment et font saillir ses ossemens de granit Les grandes roches aiguës s’entassent obliquement les unes sur les autres, ne laissant qu’une étroite bande le gazon entre elles et l’abîme qui mugit à deux cents pieds au-dessous. Le long de ce périlleux sentier, notre caravane s’égrène en file indienne. Le bouillonnement des vagues nous étourdit, et, pour augmenter notre ahurissement, des enfans, pieds nus et en haillons, se faufilent entre nos jambes, grimpent dans les rocs comme de jeunes chats, puis nous rapportent en bondissant des bouquets de fougères et de scolopendres, afin de nous arracher des sous en échange.

Tout autour, un vaste espace de mer nous donne de merveilleux éblouissemens. A gauche, dans un immense demi-cercle borné par les roches vaporeuses de Pen-March, la baie d’Audierne étale ses moires céruléennes ; — à droite, la baie des Trépassés enfonce ses eaux d’un bleu plombé dans une enceinte de récifs menaçans, et la pointe du Van, qui la sépare de la baie de Douarnenez, découpe sur l’étendue azurée la blanche arête de son promontoire ; — en face, le Raz semé d’écueils, puis la légendaire île de Sein, aux terres si basses qu’on dirait à chaque instant que le flot va les recouvrir ; — au-delà enfin, la mer radieuse et sans limites, se fondant au loin dans les buées lilas qui boudent le ciel. — Plus de traces humaines ; pas un bout de voile au large, rien que le continuel rugissement des lames et les cris aigus des goélands qui tournent horizontalement au-dessus des roches. C’est la fin de la vie terrestre, le commencement de l’infini sauvage et solitaire.

Les dames, prises de vertige, renoncent à aller plus loin et s’assoient au pied d’un rocher, sur une plate-forme étroite qui surplombe au-dessus de l’abîme. Restés seuls avec le guide, nous continuons à côtoyer les lianes de l’entonnoir rocheux au fond duquel bout l’enfer de Plogoff. C’est là seulement que commencent les difficultés sérieuses. Il faut se glisser à plat ventre dans les interstices des blocs amoncelés, poser le pied-sur des plates-bandes larges comme la main, et descendre avec précaution les gradins irréguliers formés par les crevasses de la pierre. Mais aussi, arrivé au milieu de ce puits de granit, on est récompensé de sa peine en contemplant presque face à face le formidable assaut des vagues contre les roches luisantes qui forment les parois du gouffre. Elles accourent de tous côtés, verdâtres et monstrueuses, par des couloirs percés dans les entrailles de la pointe ; parfois telles s’y rencontrent, s’y heurtent furieusement avec des râlemens sinistres ou des détonations éclatantes. L’eau noire tournoie et bouillonne comme au fond d’une cuve magique ; de temps à autre, elle lance de bas en haut de sourdes lames verticales qui retombent en éparpillerions d’écume. Et quand du fond de cette ombre pleine de