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cérémonieuse gravité. Dans ce pays aux mœurs et aux habitudes profondément enracinées, rien n’a changé. Ils dansent encore comme au XVIIe siècle, et en les regardant je retrouvais les entrechats et les glissades décrits par Mme de Sévigné : — « Cette bourrée, écrivait-elle à sa fille, dansée, coulée naturellement et dans une justesse surprenante, vous divertirait. »


12 septembre.

Nous avons passé trois jours à visiter des églises de village, et nous terminons aujourd’hui nos promenades édifiantes en assistant au pardon de la Clarté. — Au premier abord, toutes ces églises rustiques ont de nombreux points de ressemblance. Bâties pour la plupart au XVe ou au XVIe siècle par des maîtres tailleurs de pierre, elles présentent presque partout les mêmes caractères d’élégance et de hardiesse : — sveltes clochers à jour aux fines arêtes dentelées ; clochetons en poivrière ou en éteignoir, disposés symétriquement et séparés par des galeries à pilastres de pierre ; vastes porches latéraux, voûtés en arc-de-cloître, décorés de curieux chapiteaux feuillages ou fleuris, et faisant saillie au dehors, de façon à abriter sous leurs voussures hospitalières le trop plein des fidèles qui dégorge jusque dans la rue. — C’est quand on les examine de très près à l’intérieur qu’on s’aperçoit des détails particuliers qui marquent la physionomie et la personnalité de chaque paroisse.

A Poul-Davit, il y a dans le chœur une frise couverte de peintures étranges d’une couleur singulièrement riche et harmonieuse. Il y a surtout la statue de bois peint de Saint Jacques, le patron de l’église ; au-dessus de la tête du saint, des outils rustiques, une fourche et des chaînes de charrette, sont pendus à la façon de l’épée de Damoclès. Le sacristain nous explique la provenance de ces bizarres ex-voto : — un jour de dimanche, des paysans travaillaient aux champs ; leurs outils disparurent comme par miracle, et on les retrouva suspendus au-dessus de la statue de Saint Jacques, qui avait voulu punir ainsi ses paroissiens d’une coupable infraction au repos dominical. — A Loc-Ronan, une vaste église à la nef moisie et comme vert-de-grisée par l’humidité, se trouve le tombeau de saint Ronan, un ermite du VIe siècle : la statue de l’apôtre de la Montagne-Noire repose sur une table massive soutenue par des anges ; il tient dans ses mains jointes son bâton pastoral et en appuie l’extrémité contre la face grimaçante d’un diable qui rampe à ses pieds. Quand nous avons visité ce tombeau, après la grand’messe, la croupe verdâtre de Satan était couverte de crachats. Les malades passent en se courbant sous la table de granit afin de se guérir de leurs infirmités, et, pour compléter la cure, avant de