Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 43.djvu/388

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

certaines contrariétés et pour les douleurs physiques, mais en ce qui concerne Maurice, je n’en ai pas du tout, et ce serait pourtant bien le cas ou jamais. Je prends tellement à cœur ses progrès, que je me désespère promptement, et j’ai bien tort. Je dirais bien aussi comme vous que cela tient à ma constitution, au climat, à la digestion, etc., mais ce serait une pauvre défaite, puisqu’il est beaucoup d’occasions ou je réussis à dompter l’emportement de mon caractère. Ce qu’on a pu une fois, on le peut plus d’une fois, et l’habitude fait qu’on finit par le pouvoir presque toujours. J’espère que j’en viendrai là pour mes impatiences et vous pour votre apathie. La douceur m’est nécessaire pour faire quelque chose de mon fils ; un stimulant vous l’est aussi pour faire quelque chose de vous-même. Car l’éducation de Maurice commence, et la vôtre n’est pas finie. Si vous y consentez, je vous donnerai votre tâche quand vous serez ici, et je vous autorise à vous moquer de moi quand vous me verrez en colère. Mais déjà je me suis beaucoup amendée.

Le second paragraphe de votre réponse n’est pas clair. Vous me promettez de me l’expliquer dans un an, à la bonne heure.

Le troisième est un raisonnement si l’on veut, et il vous suffira de le relire pour voir comme il est solide. Vous dites : Je suis franc parce que je laisse voir aux gens qu’ils me déplaisent. J’abhorre la dissimulation et je serais hypocrite si j’agissais autrement. — Voilà qui est bien d’une tête de vingt ans ! Croyez-vous, mon enfant, que je sois perfide et menteuse ? Vous seriez le premier. Croyez-vous que je n’aye pas bien des fois en ma vie ressenti des mouvemens d’éloignement et d’indignation envers de certaines gens ! Sans doute cela m’est arrivé, mais avant de le leur témoigner j’ai réfléchi. Je me suis demandé sur quoi étaient fondées mes aversions, et j’ai presque toujours reconnu que l’amour-propre m’exagérait la différence que j’établissais entre moi et ces gens-là et la supériorité que j’usurpais sur eux. Vous comprenez bien que je ne vous parle pas des assassins et des voleurs que j’ai eu l’honneur de fréquenter. Je les mets à part et je leur sais bien des motifs d’excuse et de compassion qui sont inutiles à dire ici. Je vous permets bien du reste de les considérer avec horreur, pourvu que cette indignation ne vous rende pas inflexible et inhumain envers ces hommes dégradés qu’on doit encore secourir pour les empêcher de se dégrader de plus en plus. Il n’est question ici que de ces travers, de ces vices mêmes qu’on rencontre dans la société, dans toutes les sociétés, avec cette seule différence qu’ils sont plus ou moins voilés. Eh bien, si vous étiez un peu moins jeune, si vous aviez plus d’habitude de rencontrer de ces gens à chaque pas (c’est là en quoi consiste ce qu’on appelle expérience), si vous aviez examiné tout, en les jugeant,