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si elle n’a rien à m’envoyer de chez Gondel. Achetez-moi aussi quelques cahiers de papier pareil à celui de cette lettre. Quand je dis quelques, c’est-à-dire une vingtaine. Je vous dois beaucoup de choses. Il me tarde de m’acquitter envers vous. Mais ce que je ne vous rembourserai qu’en amitié, c’est l’infatigable obligeance que vous avez eue pour moi à Paris et à laquelle je sais être sensible, quoique bourrue. Maurice vous embrasse, il lit bien, mais je ne trouve pas qu’il écrive assez couramment pour commencer l’orthographe ; d’ailleurs je n’ai encore examiné qu’imparfaitement votre méthode. Je veux m’en pénétrer un peu plus avant de la mettre en pratique, et votre secours ne me sera pas inutile.


A Monsieur Adolphe Duplomb.


Nohant, 23 juillet 1830.

Vous avez donc bien peur de moi, vous vous attendez à une belle semonce et vous ne comptez pas sans votre hôte. Mais patience, avant de vous laver la tête comme vous le méritez, je veux vous dire que je ne vous oublie pas et que j’ai été très fâchée en revenant de Paris de trouver mon grand nigaud de fils parti. J’étais habituée à votre face de carême, et la vérité est qu’elle me manque beaucoup. Ce n’est pas que vous n’ayez beaucoup de défauts, mais après tout vous êtes un bon enfant, et avec le temps vous deviendrez raisonnable. Pensez quelquefois que vous avez des amis. Quand ce ne serait que moi, c’est beaucoup, parce que je suis solide au poste de l’amitié, quoique je n’aie pas l’air tendre. Je ne suis pas très polie non plus, je dis durement la vérité ; c’est mon caractère ; mais je tiens bon, et l’on peut compter sur moi. Rappelez-vous ce que je vous dis là, parce que je ne vous le dirai pas souvent. Rappelez-vous aussi que le bonheur en ce monde consiste dans l’intérêt et dans l’estime qu’on inspire, je ne dis pas à tout le monde, c’est impossible, mais du moins à un certain nombre d’amis. On ne peut trouver son bonheur en soi-même entièrement à moins d’être égoïste, et je ne pense pas assez mal de vous pour vous soupçonner de l’être. L’homme qui n’est aimé de personne est misérable, celui qui a des amis craint de leur faire de la peine en se conduisant mal. C’est donc pour vous dire, comme dit Polyte, que vous devez travailler à prendre une conduite rangée si vous voulez me prouver que vous n’êtes point ingrat à l’intérêt que je vous porte. Vous devriez vous défaire de ce mauvais genre de vanterie que vous avez pris avec des écervelés comme vous. Faites ce que votre fortune et votre santé vous permettent sans compromettre l’honneur et la réputation d’autrui. Je ne vois pas qu’un garçon soit obligé à la continence comme une religieuse, mais