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cérébrale, et pendant quarante-huit heures j’ai été je ne sais où. Mon corps était bien au lit sous l’apparence du sommeil, mais mon âme galoppait dans je ne sais quelle planète. Pour parler tout simplement, je n’y étais plus et je ne me sentais plus. Un violent mal de gorge m’a tirée de là, et c’est à lui que je dois d’être guérie.

Casimir est fort sensible à vos reproches, il assure qu’il ne les mérite pas, qu’on lui a dit chez ma tante que vous étiez partie, et en effet il en était si convaincu qu’il me l’a dit en arrivant ici. Il n’a point été s’en assurer par lui-même, il regardait cela comme une course inutile dans la certitude où il était de ne point vous rencontrer, et il était tellement pressé, tellement occupé d’affaires politiques et des commissions dont la ville de la Châtre l’avait chargé pour les chambres, qu’il regardait avec raison son tems comme fort précieux. Il était forcé de revenir au bout de huit jours, et ce n’est pas sans peine qu’il a rempli si vite sa mission. Ce que je ne conçois pas, c’est qu’on l’ait induit en erreur, lorsque, d’après ce que vous me dites, on savait que vous étiez encore à Paris. J’ai des lettres de lui, datées de cette époque, dans lesquelles il me dit positivement : « Ta mère est partie pour Charleville, c’est pourquoi je n’ai pu la voir. »

Casimir est incapable d’un mensonge, et il ne peut pas avoir de raison pour désirer de vous éviter ; ainsi tout cela est l’ouvrage d’un malentendu. Il était décidé à vous ramener ici avec lui, si vous y eussiez consenti.

Vous avez été près de Caroline. Je suis loin d’en être jalouse. Elle était malade, et je n’ai qu’un regret, c’est que les liens qui me retiennent ici m’aient empêchée de vous y accompagner. Je l’aurais soignée avec bien du zèle, mais outre que l’arrivée de deux personnes de plus dans son ménage eût pu la gêner beaucoup, il ne m’est pas facile de quitter mes petits enfans, encore moins de les faire voyager souvent avec moi. Voici l’âge où Maurice a besoin de leçons suivies, et je suis comme enchaînée à la maison. J’ai renoncé aux longues courses et j’ai été forcée de négliger celles de mes connaissances qui demeurent à cinq ou six lieues.

Oscar doit être un beau garçon, bien avancé. S’il était à moi, avec les dispositions qu’il a pour le dessin, j’en ferais un peintre. C’est l’avenir que je rêve pour le mien. Il annonce aussi du goût pour cet art, et c’est, à mon gré, le plus beau de tous, celui qui peut occuper le plus agréablement la vie, soit qu’il devienne un état, soit qu’il serve seulement à l’amusement. Il me fait passer tant d’heures de plaisir et de bonheur, que je passerais peut-être à m’ennuyer ! Si j’avais un talent véritable, je sens qu’il n’y aurait pas de sort plus beau que le mien et j’oublierais bien, au fond de mon cabinet, les intrigues et les ambitions qui font les révolutions.