Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 43.djvu/400

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les parens, la légèreté, l’absence, un parti plus avantageux, que sais-je ? La jolie et douce enfant est oubliée sans doute, et dans l’ignorance de son cœur elle le pleurera comme s’il en valait la peine. Si jeunesse savait ! dit le proverbe. Quoiqu’il arrive, je vous remercie de vos lumières et je vous tiendrai au fait des événemens. J’abrège sûr cet article, car j’ai bien des choses à vous dire. Sachez une nouvelle étonnante, surprenante… (pour les adjectifs, voyez la lettre de Mme de Sévigné, que je n’aime guère, quoi qu’on dise.) Sachez qu’en dépit de mon inertie, de mon insouciance, de ma légèreté à m’étourdir, de ma facilité à pardonner, à oublier les chagrins et les injures, sachez que je viens de prendre un parti violent. Ce n’est pas pour rire, malgré le ton de badinage que je prends. C’est tout ce qu’il y a de plus sérieux. Mais songez que c’est encore là un de ces secrets qu’on ne dit pas à trois personnes, et qu’après avoir lu ma lettre, il faut la jetter au feu. Vous connaissez mon intérieur. Vous savez s’il est tolérable. Vous avez été étonné vingt fois de me voir relever la tête le lendemain, quand la veille on me l’avait brisée. Il y a un terme à tout. Et puis, les raisons qui eussent pu me porter plus tôt à la résolution que j’ai prise n’étaient pas assez fortes pour me décider. Avant de nouveaux événemens qui viennent d’avoir lieu, personne ne s’est aperçu de rien. Il n’y a pas eu de bruit. J’ai simplement trouvé un paquet à mon adresse en cherchant quelque chose dans le secrétaire de mon mari. Ce paquet avait un air solennel qui m’a frappé. On y lisait : « Ne l’ouvrez qu’après ma mort. » Je n’ai pas eu la patience d’attendre que je fusse veuve. Ce n’est pas avec une tournure de santé comme la mienne qu’on doit compter survivre à quelqu’un.

D’ailleurs j’ai supposé que mon mari était mort, et j’ai été bien aise de voir ce qu’il pensait de moi durant sa vie. Le paquet m’étant adressé, j’avais le droit de l’ouvrir sans indiscrétion, et mon mari se portant fort bien, je pouvais lire son testament de sang-froid. Vive Dieu ! quel testament ! Des malédictions et c’est tout ! Il avait rassemblé là tous ses mouvemens d’humeur et de colère contre moi, toutes ses réflexions sur ma perversité, tous ses sentimens de mépris pour mon caractère, et il me laissait cela comme un gage de sa tendresse ! Je croyais rêver, moi qui, jusqu’ici, fermais les yeux et ne voulais pas voir que j’étais méprisée ; cette lecture m’a enfin tirée de mon sommeil. Je me suis dit que, vivre avec un homme qui n’avait pour sa femme ni estime ni confiance, c’était vouloir rendre la vie aux morts. Mon parti a été promptement pris et, j’ose le dire, irrévocablement. Vous savez que je n’abuse pas de ce mot. Je ne l’employé pas souvent. Sans attendre un jour de plus, faible et malade encore, j’ai déclaré ma volonté et décliné mes motifs avec un aplomb et un sang-froid qui l’ont pétrifié. Il