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parcimonieuse industrie qui sait tirer parti de tout et faire du papier à lettre avec des vieilles bottes et des chiens morts ;

De même, ô mes sensibles et romantiques amis ! après une longue, laborieuse et pénible recherche, j’ai à peu près compris la lettre bienfaisante et sentimentale que vous m’avez écrite, au milieu des fumées du punch et dans le désordre de vos imaginations naturellement fantasques et poétiques. Triomphez, mes amis, enorgueillissez-vous des dons que le ciel prodigue vous a départis, soyez fiers, car vous avez droit à l’être. Vous avez atteint et dépassé les limites du sublime, vous êtes inintelligibles pour les autres comme pour vous-mêmes. Nodier pâlit, Rabelais ne serait que de la Saint-Jean, et Sainte-Beuve baisse pavillon devant vous. Immortels jeunes hommes ! mes mains vous tresseront des couronnes de verdure quand les arbres auront repris des feuilles, le laurier sauce s’arrondira sur vos fronts et le chêne sur vos épaules, si vous continuez de la sorte.

Heureuse, trois fois heureuse la ville de La Châtre, la patrie des grands hommes, la terre classique du génie ! Heureuses vos mamans ! heureux vos papas ! Enfans gâtés des Muses, nourris sur l’Olympe (pas d’allusions je vous prie), bercés sur les genoux de la renommée ! puissiez-vous faire pendant toute une éternité (comme dit le forçat délibéré Champagnette de Lille), la gloire et l’ornement de la patrie reconnaissante ! Puissiez-vous m’écrire souvent pour m’endormir… au son de votre lyre pindarique, et pour détendre les muscles buccinateurs infiniment trop contractés de mes joues amaigries !

Depuis l’on départ, ô blond Charles, jeune homme aux rêveries mélancoliques, au caractère sombre comme un jour d’orage, infortuné misanthrope qui fuis la frivole gaîté d’une jeunesse insensée, pour te livrer aux noires méditations d’un cerveau ascétique ! les arbres ont jauni, ils se sont dépouillés de leur brillante parure. Ils ne voulaient plus charmer les yeux de personne, l’hôte solitaire des forêts désertes, le promeneur mélancolique des sentiers écartés et ombreux, n’étant plus là pour les chanter. Ils sont devenus secs comme des fagots et tristes comme la nature veuve de toi, ô jeune homme !

Et toi, gigantesque Fleury, homme aux pattes immenses, à la barbe effrayante, au regard terrible, homme des premiers siècles, des siècles de fer ! homme au cœur de pierre, homme fossile ! homme primitif, homme normal ! homme antérieur à la civilisation, antérieur au déluge ! depuis que ta masse immense n’occupe plus, comme les dieux d’Homère, l’espace de sept stades dans la contrée, depuis que ta poitrine volcanique n’absorbe plus l’air vital nécessaire aux habitans de la terre, le climat du pays est