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le lui donner. Il est de Jules Sandeau, qui me l’avait confié et qui n’a pas été très content de le voir mutilé et raccourci. Il le destinait au Voleur, et moi je l’ai volé au profit du Figaro. Dans le même numéro, il y a une bigarrure (la première) qui fait grand scandale. Elle n’a rien de joli, mais, comme elle tombe d’aplomb sur le ridicule de la circonstance, les rieurs s’en sont emparés ; le roi citoyen s’en est offensé, et M. Nestor Roqueplan, le signataire du journal, au moment de recevoir la croix (dont Sa Majesté n’est pas chiche d’ailleurs), se l’est vu refuser à cause de l’article susdit, dont il est responsable. C’est pourtant moi qu’a fait ce coup-là ! J’en peux pas revenir et j’en ris à me démettre les mandibules. O auguste juste-milieu de La Châtre, que dirais-tu de mon impudence ! M. Delatouche, de son côté, ne s’était pas gêné d’annoncer des croisées à louer pour voir passer la première émeute que ferait M. Vivien. Toutes ces gentillesses ont indisposé le roi citoyen et papa Persil, qui lui a dit comme ça : — Tonnerre de Dieu, sire, c’est trop fort ! — Vous croyez ? qu’a dit le roi citoyen, faut-il que je me fâche ? — Oui, sire, faut vous fâcher. — Alors le roi citoyen s’est fâché, et voilà qu’on a saisi le Figaro et qu’on lui intente un procès de tendance. Si on incrimine les articles en particulier, le mien le sera pour sûr. Je m’en déclare l’auteur et je me fais mettre en prison. Vive Dieu ! quel scandale à La Châtre ! quelle horreur et quel désespoir dans ma famille ! mais aussi ma réputation est faite, et je trouve un éditeur pour acheter mes platitudes et des sots pour les lire. Je donnerais 9 fr. 50 pour avoir le bonheur d’être condamnée. Je ne vous dis rien de la nouvelle Atala. Je l’ai avalée et il m’en souviendra ! J’en ai eu le choléra-morbus pendant trois jours. Vous en verrez l’analyse un de ces jours dans votre journal, ô Atala ! — Ote-toi de là !

Bonsoir, mon cher camarade, je vous embrasse de tout mon cœur. Écrivez-moi plus souvent et quand même vous seriez de mauvaise humeur. Est-ce que je n’ai pas aussi mes jours nébuleux ? Quand je serai cheux nous, c’est-à-dire le mois prochain, quand vous vous ennuierez, vous viendrez me voir. Nous mettrons nos deux ennuis ensemble et nous tâcherons de les jeter dans l’eau pour peu qu’il y ait de l’eau.

Je ne vous dis rien de votre affaire d’honneur. Êtes-vous assez bête ! je me réserve de vous laver la tête, mais ne recommencez pas souvent ces sottises-là. Adieu. — Bonsoir. — Embrassez pour moi votre mère et aimez-moi toujours un brin. Dites à M. Toubeau que je le porte dans mon cœur. Quant à l’autre, je ne sais pas qui vous voulez dire. J’en adore tant !