Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 43.djvu/421

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce n’est pas un fait insignifiant que cet accord de tous les partis en un tel sujet. La démocratie veut d’ordinaire, on le sait, la multiplication des fonctions publiques. Or le mouvement que nous signalons agit au rebours. Il est donc impossible de nier qu’il ne soit profond. L’insuffisance des traitemens, à tous les degrés, la rareté des candidats de mérite pour les justices de paix, la médiocrité de certains juges, le besoin d’avancement excité et justifié par la parcimonie du budget, ont fait nature chez tous ceux qui approchent de la justice les mêmes réflexions et les mêmes vœux. En examinant successivement nos juridictions et les modifications dont elles sont susceptibles, nous n’aurons donc rien à demander à l’imagination, il nous suffira de combiner et d’écrire ce qui est dans l’esprit des hommes les plus expérimentés.


I

Il n’est personne qui, ayant à se prononcer sur les juges de paix, n’ait souhaité des magistrats plus instruits et mieux garantis contre l’invasion de la politique. Entre les écrivains partis des points les plus opposés, l’accord est absolu sur ces deux besoins. C’est à ce prix que l’institution fondée par la constituante peut être régénérée.

Nos lois administratives en se compliquant, nos lois judiciaires en créant une compétence plus étendue ont rendu nécessaire l’attribution de ces fonctions à un homme spécial. Thouret avait dit « qu’un homme de bien, pour peu qu’il eût d’usage et d’expérience, pouvait être juge de paix. » Depuis quarante ans, nos lois ont donné à cette affirmation le plus complet démenti : ce n’est pas l’expérience qui suffit à démêler les difficultés souvent inextricables que soulèvent les actions possessoires, les exceptions, l’interprétation des règlemens administratifs. Il n’est pas un membre de la cour de cassation qui ne sache que la nature de sa compétence oblige souvent un juge de paix à faire une œuvre intellectuelle plus délicate qu’un juge d’un siège plus élevé. À cette difficulté si l’on ajoute l’obligation de se décider seul, d’écouter les parties en leurs explications confuses, de ne pas entendre des interprètes du droit éclaircir devant lui la cause ou, s’il s’en présente, de se défier de leur intervention, le devoir de laisser entrer à toute heure en son cabinet ceux que dans le canton une difficulté de droit alarme, la nécessité de répondre à chacun, de dissiper les doutes, de ne rien ignorer de la loi, et tout cela sans autre secours que de rares ouvrages et des collections incomplètes, on se fera à peine l’idée de ce que réclament ces fonctions modestes, qui exigeraient, pour être dignement remplies, autant de science que de vertu.