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sont en quête d’emplois sûrs et fructueux ; un emprunt dans les conditions où se trouve l’Italie et avec la destination qu’elle compte lui donner, se négocierait à des conditions avantageuses et serait souscrit en quelques jours. Combien de temps durera cette affluence des capitaux, et l’Italie est-elle certaine de toujours trouver les mêmes conditions et les mêmes facilités ?

Un mot encore. Nous applaudissons à l’œuvre que veut entreprendre le gouvernement italien, parce que c’est une œuvre de paix qui ne peut s’accomplir et porter fruit qu’à la condition du maintien de la paix. Les hommes d’état italiens le savent, ils sont trop éclairés, trop soucieux de l’avenir et de la prospérité de leur pays pour incliner vers une politique d’aventures, qui alarmerait l’Europe et ruinerait tous leurs projets. Qu’ils ne craignent point de mettre leur langage d’accord avec leurs intentions. Qu’ils n’hésitent pas à rompre avec les hommes à chimères, qui rêvent de guerres nouvelles, et avec les esprits tracassiers, qui ne voient pour l’Italie d’autres moyens de manifester son indépendance et sa vitalité que par des taquineries à l’adresse de ses voisins. M. de Bismarck s’est prêté à certaines coquetteries diplomatiques afin de ramener l’Autriche dans les bras de l’Allemagne et de resserrer une alliance dont les liens se relâchaient. Un tel résultat est-il bien avantageux pour l’Italie ? Quels fruits meilleurs pourrait-elle attendre en créant des embarras à l’Angleterre et à la France en Égypte, en nous suscitant des difficultés en Tunisie ? L’Italie ne rencontre ni jalousie ni mauvais vouloir chez aucun de ses voisins ; elle n’a aucun intérêt à changer leurs sentimens. La prospérité de l’Italie ne saurait nous porter ombrage, puisque les deux pays ne se font concurrence sur aucun marché. L’exposé de M. Magliani constate en maint endroit l’assistance utile que les entreprises italiennes, publiques et privées, ont trouvée sur le marché français. La France a aidé à l’affranchissement de l’Italie par ses capitaux autant que par ses armes. Si notre ministre des finances, cédant tout à coup aux réclamations qui se sont souvent élevées aux sein des chambres et dans la presse contre la facilité avec laquelle notre marché s’ouvre aux valeurs étrangères, venait à faire supprimer de la cote de la Bourse tous les emprunts étrangers, son collègue de Rome ne considèrerait-il pas cette mesure comme un obstacle au succès de ses projets ? Lorsque les intérêts de deux nations sont si intimement unis, la politique, qui n’est que la mise en pratique des conseils de la sagesse et de la prudence, ne commande-t-elle pas de fortifier ces liens déjà étroits par les preuves d’une mutuelle et sincère sympathie ?


CUCHEVAL-CLARIGNY.