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catholique ; » en revanche, on ne la permet pas davantage le à brumaire, » « à raison des sentimens et des principes religieux que cette pièce renferme[1]. »

Quant à la censure, elle a repris tout son empire. Tantôt elle empêche de jouer une pièce intitulée Minuit, « parce qu’il ne s’agit guère que de savoir dans cette pièce qui souhaitera le premier la bonne année » et qu’il serait « au moins inconvenant de reproduire sur la scène un usage aboli parle calendrier républicain. » Une autrefois, à propos d’une pièce d’Hoffmann, Léon, ou le Château de Montenero, le censeur fait la réflexion suivante : « Pourquoi l’amant de Laure s’appelle-t-il Louis ? Ce nom ne peut être donné dans nos théâtres, surtout à un personnage vertueux. » Vous croyez peut-être qu’on ne saurait être plus niais ? Vous vous trompez. On présente au censeur un opéra qui porte le titre de Henri de Bavière. Le censeur ne voit pas d’inconvénient à permettre la représentation, car « Frédéric II (empereur) n’y paraissant avec aucune marque distinctive, ce n’est plus qu’un père civil qui veut d’abord punir son fils et finit par lui pardonner, » mais ce n’est pas l’avis du ministre. Le ministre n’est pas pour la clémence. On ne jouera pas Henri de Bavière parce que son père lui pardonne et que « trop de gens pourraient croire que l’auteur a voulu persuader d’en agir ainsi à l’égard des émigrés ! » On voit qu’au moins le directoire ne renonçait pas à républicaniser bon gré mal gré le théâtre, et par le théâtre l’esprit public. Seulement les auteurs commençaient à ne plus s’y prêter avec autant de complaisance. Les « observateurs » de la police s’en plaignaient. « Les directions de théâtre sont assez favorablement disposées à entrer dans les vues du gouvernement et à donner un caractère républicain à leurs représentations, mais on a à reprocher aux auteurs de n’être pas dans les mêmes principes et de ne rien faire pour l’amélioration de l’esprit public. Le département vient de prendre un arrêté qui les contraindra, par leur propre intérêt, à suivre une marche républicaine. » Un autre disait : « Le calme et la tranquillité règnent dans les différens théâtres, mais les spectacles qu’on y donne n’offrent à l’esprit républicain aucune occasion de se prononcer, de sorte qu’ils ne contribuent en rien à entretenir ce feu sacré et à lui donner de l’éclat. »

En effet, il avait raison de le dire, le feu sacré s’éteignait.

On représentait bien encore de loin en loin quelques à-propos patriotiques, les Prisonniers français à Liège, ou le Triomphe de la république française, mais la foule ne s’y pressait guère, non plus qu’aux opéras où l’on enveloppait d’une fable prétendue grecque ou latine les allusions civiques. C’étaient la farce et la tragédie qui semblaient redevenir à la mode. Nicodème à Paris, Madame Angot, ou la Poissarde parvenue, les Modernes Enrichis, voilà les pièces qui faisaient courir. Et subrepticement

  1. Nous avons à peine besoin de dire que les citations dont le lieu n’est pas autrement indiqué sont tirées du livre de M. Welschinger.