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pas d’armée, a réuni soixante mille hommes sous le drapeau de Saint-George ; en quelques semaines aussi, elle a doublé son budget. De 50 millions de drachmes, elle l’a élevé à plus de 100 millions ; seulement, comme il est beaucoup moins facile d’augmenter les recettes que les dépenses, c’est au moyen d’emprunts qu’elle a cherché à combler un déficit qui, pour deux années, se montait à 121,773,162 drachmes. Ayant ainsi engagé son avenir financier et militaire, s’étant acculée à la guerre ou à la révolution et à la banqueroute, elle s’est tournée vers les puissances pour leur demander le moyen de mettre à exécution les résolutions de la conférence de Berlin. Mais de nouveaux changemens venaient de se produire en Europe ; la malencontreuse expédition de Dulcigno avait épuisé l’entente internationale ; les affaires d’Irlande et du Transvaal absorbaient M. Gladstone ; la France rentrait dans son recueillement, l’Allemagne dans son égoïsme. Au lieu des secours effectifs qu’ils attendaient, les Grecs ont reçu des conseils de prudence et de modération qui arrivaient bien tard et qui ont paru bien cruels à un peuple fatigué de tout espérer et de ne rien obtenir.

J’étais à Athènes au moment où la triste vérité a commencé à luire aux yeux des Grecs. Le spectacle qu’offrait la ville était des plus curieux ; partout on croisait des bataillons allant à l’exercice, des escadrons de cavalerie se rendant à la manœuvre ; des soldats, des officiers, des canons, débouchaient de toutes les rues, obstruaient toutes les places. C’était un va-et-vient militaire continu. Le bruit des sonneries de clairons et de fanfares se faisait entendre dès l’aurore et se prolongeait jusqu’au coucher du soleil. Lorsqu’on se promenait dans les mines de l’Acropole, des décharges incessantes de mousqueterie, partant de l’Agora, du Pnyx, de la colline des Muses, venaient troubler le silence des souvenirs antiques et ramener l’imagination, prête à s’égarer dans le siècle de Périclès ou de Démosthène, aux réalités les plus contemporaines. Je dois dire cependant que les fusils et les canons seuls traduisaient l’excitation publique de la Grèce. Rien de plus calme en apparence que cette ville d’Athènes, où, d’après les récits des Grecs, soufflait un vent de colère, de révolution et de guerre ! Je dois dire encore qu’un très grand nombre de soldats que je voyais appartenaient, non à la Grèce proprement dite, mais aux colonies grecques de la Turquie et de l’Europe. En Grèce, les réfractaires abondaient ; mais, en revanche, des volontaires arrivaient chaque jour de tous les pays grecs restés sous la domination ottomane. On les recevait d’abord avec enthousiasme, puis avec une certaine inquiétude. Il est certain qu’ils constituent pour la Grèce un double danger. Si la guerre éclate, pourront-ils rester dans les rangs de l’armée hellénique ? Non, dans doute, car la Turquie s’empressera de déclarer que tous ceux de ses sujets qui