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à fait à l’aise avec eux ; on voit qu’ils posent, et cela vous glace. Leur conversation tourne toujours au plaidoyer pro domo sua ; leurs livres en font autant. Tous les ouvrages écrits par les Grecs sur la Grèce sont des panégyriques. On est frappé, en les lisant, du nombre incalculable de vertus que possède la Grèce. Quant à ses défauts, où sont-ils ? qui nous le dira ? J’ai pourtant trouvé un livre intitulé : la Grèce telle qu’elle est, dont l’auteur, après avoir consacré près de trois cents pages à s’extasier sur les mérites de son pays, sur les qualités de ses compatriotes, sur l’intelligence et la noblesse des hommes, sur la beauté des femmes, sur les promesses qui éclatent dans les yeux des enfans, pris tout à coup d’un scrupule tardif de modestie, déclare hautement qu’il ne veut pas avoir l’air de flatter les Grecs et qu’après s’être étendu si longuement sur le bien, il va dire non moins longuement le mal. Sur ce, il énumère les imperfections des Grecs, au nombre de trois, qu’il désigne ainsi : « Vanité, mutabilité, envie. » Il pousse même le courage jusqu’à ajouter : « Plusieurs auteurs ont voulu défendre toutes les faiblesses des Hellènes. Ils les ont réunies en quelque sorte en un faisceau et l’ont couvert par la même formule : « résultat de l’esclavage ; » c’est un tort. Les défauts que nous venons de nommer existent réellement dans notre sang. Aucune justification ne pourra résister à l’examen des faits et au témoignage de l’histoire. » Mais, après cet effort héroïque, l’auteur de la Grèce telle quelle est s’empresse de tomber dans l’erreur qu’il reprochait aux autres et de donner lui-même un exemple de mutabilité : au lieu de chercher des raisons morales aux trois défauts des Grecs, il s’efforce de leur découvrir des excuses historiques et des circonstances atténuantes.

Après tout, les Grecs ont raison de couvrir leurs faiblesses sous la formule générale : « résultat de l’esclavage. » Il serait singulièrement injuste d’oublier qu’ils sortent à peine d’un état qui développait en eux tous les mauvais instincts et étouffait cruellement tous les bons. Quand ils vous disent : « Ne nous jugez pas en vous plaçant au point de vue de l’Occident ; ne nous comparez pas aux grandes nations européennes qui jouissent depuis des siècles, sinon de la liberté, au moins de la civilisation ; placez-vous au point de vue de l’Orient, comparez-nous aux races rivales qui, longtemps asservies comme nous, ont perdu dans la servitude non-seulement leurs vertus, mais leur intelligence ; voyez ce que nous avons fait et ce qu’elles ont fait ; » — quand ils parlent ainsi, il est impossible de méconnaître la justesse de cette défense. Leur tort seulement est de croire qu’on les attaque. Sans doute ils ont subi quelques critiques exagérées, partiales, violentes même ; mais, au total, l’opinion générale de l’Europe leur a toujours été favorable ; on leur a toujours montré plus