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ces imperfections est la petitesse du royaume. Si la Grèce était plus grande, elle aurait immédiatement une administration probe, un gouvernement éclairé et économe, des finances en bon ordre, des hommes d’état éminens, des chambres modèles. J’ai peine à croire à la vertu magique d’une extension de frontières, si considérable qu’elle fût. En se développant, les Grecs ne feront disparaître aucune des difficultés contre lesquelles ils se débattent aujourd’hui ; peut-être, au contraire, les envenimeront-ils. C’est que le problème qu’ils ont à résoudre est des plus compliqués ; des nations de premier ordre, des nations dont la Grèce ne saurait, même dans ses rêves les plus gigantesques, songer un instant à atteindre l’étendue, l’agitent comme elle et sans beaucoup plus de succès qu’elle. C’est le problème de la conciliation du régime parlementaire et de l’extrême démocratie. Tout a été dit sur la faute qui a été commise lorsqu’on a imposé à un peuple à peine délivré de la servitude, comme les Grecs, des institutions constitutionnelles calquées sur celles de la France et de l’Angleterre. Mais on n’a peut-être pas assez remarqué combien le triomphe absolu de la démocratie, trait capital du caractère politique grec, rendait cette faute plus dangereuse. Dans nul pays peut-être il n’y a moins de classes sociales ; généralement l’égalité est absolue en Orient, mais, dans les pays turcs, la race conquérante compose une aristocratie sous laquelle toutes les autres restent courbées, tandis que dans quelques-unes des principautés slaves qui se sont détachées de l’empire ottoman, il est sorti de la lutte pour l’indépendance tantôt une classe dirigeante, tantôt une dynastie qui servent plus ou moins de contrepoids à la masse populaire. En Grèce, rien de pareil ; la richesse elle-même n’y constitue pas un privilège, car elle n’appartient guère qu’aux Grecs vivant au dehors ; il n’y a de supériorité reconnue que celle du talent ou de l’habileté qui ne le remplace que trop souvent. Amoureux comme ils le sont de la science et de l’action, persuadés qu’on peut tout faire avec de l’intelligence ou de la ruse, les Grecs ne reconnaissent pas d’autres forces sociales. Aussi ont-ils corrigé leurs institutions nationales de manière à les adapter complètement à leur tempérament démocratique. Ils n’ont pu s’accommoder longtemps d’un sénat. Tant que ce sénat était composé d’hommes ayant pris part à la guerre de l’indépendance et devant à d’héroïques souvenirs une autorité incontestée sur le pays tout entier, ils l’ont supporté, quoique non sans peine ; mais bientôt ces hommes sont morts ; il a été impossible de les remplacer. La révolution de 1862 a emporté le sénat. Elle a emporté du même coup une royauté qui ne tenait à rien. Peut-on dire que celle qui l’a remplacée soit beaucoup plus solide ? Le roi George possède l’estime, et la reine Olga l’admiration des Grecs ; mais ces