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traditions, aux sentimens, à la race, il est dans le sang. Les Grecs qui vivent à l’étranger aiment à se faire construire à Athènes de superbes hôtels où ils n’habitent jamais, mais qui servent à l’éclat d’une ville dans laquelle la patrie se personnifiée leurs yeux ; mais les Grecs des provinces n’éprouvent pas de pareilles faiblesses ; ils sont, au contraire, jaloux d’Athènes. J’ai vu un exemple bien frappant de la violence de ce sentiment. On sait que les fouilles entreprises par les Allemands à Olympie ont mis au jour deux des chefs-d’œuvre les plus parfaits de la statuaire antique, un Hermès de Praxitèle et une Victoire de Pæonios. D’après la loi, ces deux statues devraient être transportées à Athènes, rendez-vous de toutes les œuvres de premier ordre trouvées dans le royaume. Mais les habitans de Pyrgos, petite ville située près d’Olympie, ont déclaré qu’ils ne permettraient jamais qu’on les leur enlevât, et le président actuel de la chambre, qui est du Péloponèse, a été jusqu’à affirmer que le sang coulerait le jour où l’on voudrait dépouiller Pyrgos au profit d’Athènes ! Si la guerre civile risque d’éclater pour une cause de ce genre, combien n’éclaterait-elle pas plus aisément pour des causes politiques dès que la suppression de la monarchie viendrait briser le dernier lien de l’unité nationale ? Aucun peuple n’est plus sujet aux divisions et aux luttes que le peuple grec. On sait en combien de partis il se partage sans cesse. Des discussions entre savans et artistes ne sont pas moins nombreuses qu’entre hommes politiques. Je n’en citerai encore qu’un exemple. Le grand musée d’Athènes, le musée de Patissia, contient de véritables trésors ; par malheur, ils sont disposés de la manière la plus déplorable ; de fort beaux bas-reliefs sont placés à l’envers, des statues restent couchées par terre ; un Neptune, qui est un chef-d’œuvre et qui a été trouvé il y a deux ans à Milo, où le gouvernement grec a envoyé des troupes pour le prendre, de peur qu’il ne fût vendu au Louvre, est depuis lors divisé en deux tronçons et placé dans des caisses où il est impossible de le voir. Vous pensez peut-être que c’est faute de place ou faute d’argent que subsistent ces dispositions malheureuses ? Non. La place abonde, l’argent ne manque pas ; mais l’éphore-général des antiquités, M. Evstratiadis, qui, malgré son titre pompeux, semble n’avoir d’autres fonctions que de rendre les antiquités invisibles, laisse le musée de Patissia dans l’état où il est pour contrarier quelques savans d’Athènes dont cela dérange les travaux. A force de se diviser, les Grecs finiront par s’émietter, s’ils n’y prennent garde et s’ils ne cherchent pas à réformer leurs institutions politiques de manière à donner plus de force à l’unité nationale.

Pendant plusieurs années, le pouvoir a successivement passé en Grèce entre les mains de quatre ministres qui s’en disputaient sans