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et pour supporter bravement les rigueurs de la vie militaire. Par malheur, on n’improvise pas un corps d’officiers. Ce qui manque absolument à l’armée grecque, ce sont des chefs capables de la conduire au feu. Aucun de ceux qui la commandent n’a fait la guerre ; bien plus, aucun n’a vu plusieurs régimens réunis. Jusqu’ici les divers ministères qui se sont succédé à Athènes n’avaient aucun souci de former, sinon une armée, au moins des cadres capables d’organiser rapidement les troupes levées à la hâte dans une heure de péril national. Beaucoup d’officiers allaient en Europe compléter leurs études ; mais à leur retour ils trouvaient chez eux si peu d’encouragement qu’ils se dégoûtaient bientôt de leur métier et ne songeaient plus qu’à mener une existence paresseuse. Personne ne s’avisait de les envoyer assister aux guerres européennes, aux grandes manœuvres de France et d’Allemagne, afin de leur faire acquérir au dehors une éducation militaire qu’il leur était impossible d’acquérir au dedans avec une armée de quinze mille hommes au maximum, disséminée sur tous les points du royaume et occupée uniquement s’y faire la police. Il en résulte qu’aujourd’hui les généraux sont d’une déplorable insuffisance, que les officiers sont doués tout au plus d’une éducation théorique qui n’a jamais subi l’épreuve de la pratique, et que les sous-officiers manquent presque complètement. Est-ce avec une organisation militaire pareille que la Grèce peut affronter le choc de la Turquie ?

Le jour où la crise actuelle sera terminée, la question de l’armée deviendra une des plus difficiles que les hommes d’état grecs auront à résoudre. Pourront-ils maintenir 40 ou 50,000 hommes sous les armes, comme il le faudrait pour assurer leur avenir national ? L’état de leurs finances ne le leur permettra pas. Ils ont paré au déficit actuel par des emprunts ; mais leur crédit est épuisé, personne désormais ne consentira à leur fournir les ressources dont ils ont besoin. A quelle source s’adresseront-ils pour alimenter leur budget ? A l’impôt foncier ? Mais ce sera le moyen de mécontenter profondément les provinces agricoles qu’ils espèrent annexer et d’entraver partout l’agriculture. A l’impôt sur le tabac ? Mais ce serait ruiner leur commerce d’exportation, qui est considérable. Un orateur rempli de fantaisie proposait naguère à la chambre de combler le déficit en aliénant les monumens publics. Il était d’avis de commencer par le temple de Thésée, dont il espérait tirer 25 millions. Plus tard devait venir le tour de l’Acropole. Je constate avec regret qu’une protestation indignée ne s’est pas élevée de tous les bancs de la chambre à cette folle proposition. Ce n’est pas que les Grecs y aient fait bon accueil. Mieux que personne, ils savent que le jour où la Grèce vendrait ses monumens, c’en serait lait d’elle, elle n’existerait plus. Mais avec une habileté qu’ils croient