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Afin de résumer les idées qui ont présidé à la construction et à la. décoration de ces tombeaux, nous laisserons ici à parole à M. Maspero ; seulement il convient de faire remarquer que, dans cette page d’un sentiment si juste et si un, il fait plusieurs fois allusion à une conception de à vie future qui déjà diffère à quelques égards de la conception primitive et qui appartient surtout au second empire thébain, ainsi qu’aux temps postérieurs.

« Les scènes choisies pour la décoration des murailles avaient une intention magique : qu’elles eussent trait à la vie civile ou à l’enfer, elles devaient assurer au mort une existence heureuse ou le préserver des dangers d’outre-tombe… Leur reproduction sur les parois de la tombe lui garantissait l’accomplissement des actes représentés. Le double, le bai, le lumineux, peu importe, enfermé dans sa syringe, se voyait, sur la muraille, allant à la chasse, et il allaita la chasse, mangeant et buvant avec sa femme, et il mangeait et buvait avec sa femme, traversant, sain et sauf, avec la barque des dieux, les horribles régions de l’enfer, et il les traversait sain et sauf. Le labourage, la moisson, la grangée des parois étaient pour lui labourage, moisson, grangée réels. De même que les figurines funéraires déposées dans sa tombe exécutaient pour lui tous les travaux des champs sous l’influence d’un chapitre magique et s’en allaient, comme dans la ballade de Goethe le pilon de l’apprenti magicien, puiser de l’eau ou transporter les grains, les ouvriers de toute sorte peints dans les registres fabriquaient des souliers et cuisinaient pour le défunt ; ils le menaient à la chasse dans le désert ou à la pêche dans les fourrés de papyrus. Après tout, ce monde de vassaux plaqué sur le mur était aussi réel que le double ou l’âme, dont il dépendait ; la peinture d’un serviteur était bien ce qu’il fallait à l’ombre d’un maître. L’Égyptien croyait, en remplissant sa tombe de figures, qu’il s’assurait au-delà de la vie terrestre la réalité de tous les objets et de toutes les scènes représentés : c’était là ce qui l’encourageait à construire un tombeau de son vivant. Les parens, en s’acquittant des cérémonies à sens mystérieux qui accompagnaient l’enterrement, croyaient faire bénéficier le défunt de leurs actes ; la certitude d’avoir rendu service à quelqu’un qui leur avait été cher les soutenait et les consolait au retour du cimetière, quand, le convoi terminé, le mort, enfin seul dans son caveau, restait en possession de son domaine imaginaire[1]. »

Cette fiction nous étonne ; il nous semble qu’elle devait demander à l’imagination un bien grand effort, un effort dont la nôtre ne se sentirait pas capable. C’est que nous avons grand’peine à nous

  1. Journal asiatique, mai-juin 1880, p. 419-420.