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bien clos. L’art n’essaie même pas de faire luire un de ses rayons dans cette nuit ; livrant aux mains de l’ouvrier le soin de creuser cette fosse et d’en maçonner les parois, il se réservera pour les parties apparentes et ouvertes de la tombe ; c’est là qu’il mettra tout ce que comporte de richesse et de magnificence le programme qui lui a été tracé. Le mort qui repose sous ces dalles lui fournit le prétexte et l’occasion voulue ; mais c’est pour les vivans qu’il travaille, c’est leurs regards qu’il sollicite et leur admiration qu’il réclame.

L’idée des anciens est toute différente ou, pour mieux dire, tout opposée. Pour eux, la tombe était une maison habitée, le défunt y résidait ; il y vivait à sa manière, comme on peut vivre quand on est mort. Cette conception, commune à tous les esprits, imposait à tous ceux qui s’occupaient d’ériger et d’aménager la tombe un programme tout autre que celui dont l’architecte doit remplir aujourd’hui les conditions.

Les gens de goût sont toujours bien aises que leur demeure ait bon air, même pour qui ne la voit que de loin ; ils ne dédaignent pas d’en décorer les abords et la façade ; mais avant tout ils tiennent à trouver chez eux, dans leur intérieur, le nécessaire et même le superflu, toutes les commodités et tous les agrémens de la vie. De même l’Égyptien, le Grec et l’Étrusque, lorsqu’il s’agissait de préparer sa propre tombe ou celle de ses proches : il y superposait volontiers d’abord un monceau de terre ou tumulus, puis plus tard un édifice construit qui la signalât de loin aux regards, ou bien, si elle était creusée dans le flanc de la montagne, il taillait par devant, en plein roc, un portique, des frises, un fronton, tout un ensemble monumental qui donnât une haute idée du propriétaire de ce sépulcre ; mais ce qui restait pour lui la chose principale, ce dont il se préoccupait bien plus que de ces dehors et de ces apparences, c’étaient les dispositions intérieures de la tombe et son appropriation aux besoins d’un hôte qui, s’il se trouvait mal dans ses meubles, n’aurait pas la ressource de déménager. Il fallait que celui-ci, le jour même où l’accomplissement des rites funèbres le mettrait en possession de son logis, s’y sentît entouré de tout ce qui pourrait entretenir sa faible vie et charmer les loisirs forcés de son éternelle solitude. Est-on condamné par la maladie à ne pas bouger de sa chambre, on s’arrange pour n’y manquer de rien et pour s’y procurer des compensations ; on se donne à domicile tout le bien-être et tout le luxe que l’on peut payer ; or la mort est une maladie dont on ne guérit pas. Pour celui qu’elle enfermait à jamais au tombeau, rien n’était donc trop riche et trop somptueux ; il n’était pas de prodigalités qui ne lui fussent dues par la piété des vivans