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poursuivrait-il ce passager triomphe ? Un sinistre bruit a glacé le courage des Perses ; Mazée vient d’apprendre la fuite de Darius. Les Thessaliens qu’il presse mollement reviennent plus ardens, plus nombreux à la charge ; Mazée n’essaie même pas de les repousser, il se lance, avec les cavaliers qu’il a pu rallier, à travers la plaine et s’enfuit au galop vers les bords du Tigre. Tous les gués du fleuve lui étaient familiers ; il n’eut donc pas de peine à se dérober aux poursuites. Ce fut lui qui, suivi des débris de l’armée vaincue, apporta le premier dans Babylone la nouvelle de la grande défaite.

Grâce à la retraite de Mazée, Parménion triomphait au moment même où Alexandre recevait les messagers qui l’informaient du danger et des alarmes de son lieutenant. L’aile gauche des Perses était alors en complète déroute ; la confusion même servit à couvrir la fuite de Darius. Des flots de poussière tourbillonnaient dans la plaine. Le terrible Sam, cet ouragan de sable si soudain, qu’on a vu tant de fois ravager la Perse et la Babylonie, a-t-il, le 2 octobre de l’année 331, atteint de son haleine à demi épuisée les champs lointains d’Arbèles ? Je serais tenté de le croire. Perdus au sein de ténèbres assez épaisses, s’il en faut croire Quinte-Curce, pour dérober aux combattans jusqu’à la clarté du jour, les vainqueurs poussaient devant eux au hasard. L’oreille tendue, ils essayaient parfois de saisir quelque signal lointain, l’écho de la trompette sonnant le ralliement ou la voix des chefs s’efforçant de dominer le tumulte ; rien de distinct n’arrivait jusqu’à eux. Seuls, les plus avancés crurent entendre un instant comme un bruit de rênes qui frappait le flanc des chevaux pressés par leur conducteur ; ce bruit même se perdit bientôt dans l’universel tumulte. C’était l’unique trace que laissait derrière lui le dernier des Achéménides.

Simias, un des commandans de l’agéma, s’arrêta le premier, sur l’avis du désordre où l’attaque de Mazée avait jeté les troupes de Parménion. Alexandre également averti, ne pouvait se résoudre à revenir sur ses pas. « Que Parménion, dit-il, ne s’inquiète pas des bagages ! La victoire nous rendra au centuple ce que nous aurons perdu. » Les instances cependant redoublent : le cœur gonflé de rage, Alexandre cède enfin ; il se résigne à laisser échapper Darius. Il revenait à la tête des hétaires, quand quelques cavaliers accourant à toute bride, lui annoncent que les choses ont brusquement changé de face. Parménion peut se passer de secours ; l’aile gauche de l’armée macédonienne, aussi bien que l’aile droite, n’a plus que des fuyards à poursuivre ou des captifs à ramasser. Alexandre saura-t-il jamais pardonner au vétéran trop facilement troublé la faute à laquelle le roi des Perses doit contre toute attente