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Tout alla bien pendant quelques jours, mais bientôt les populations de ces deux villages se ruèrent sur les chantiers et forcèrent les ouvriers à les abandonner. Le sous-préfet, qui vint sur les lieux, vit son autorité méconnue et dut se retirer. Le juge d’instruction, bien qu’escorté par la gendarmerie, dut en faire autant et laisser entre les mains des émeutiers les prisonniers qu’il avait d’abord fait arrêter. L’agitation ne se calma que sur une dépêche arrivée de Paris, annonçant que l’opération serait suspendue jusqu’après la promulgation de la loi sur le gazonnement. Cependant, pour sauver le principe d’autorité, quelques-uns des meneurs furent poursuivis et condamnés à plusieurs mois de prison, mais graciés peu après. En 1865, les travaux furent repris sur la commune de Baratier, avec le consentement des habitans, et continués les années suivantes, malgré l’opposition des conseils municipaux. En 1867, on fît mettre en défends, c’est-à-dire à l’abri du pâturage, une partie des terrains des communes d’Orres et de Saint-Sauveur, compris dans le périmètre, et, grâce à la prudence et à la fermeté qu’on déploya, on réussit à retourner si complètement l’opinion que les plus opposans durent reconnaître l’utilité de cette mesure. Les ouvrages d’art exécutés dans le lit du torrent, nécessitant de nombreux ouvriers, attirèrent les habitans, et les salaires qu’ils y gagnèrent leur permirent de traverser sans trop souffrir plusieurs années de mauvaises récoltes. Une fois les difficultés morales vaincues, on vint facilement à bout, par les procédés que nous avons indiqués, des difficultés matérielles, si bien qu’aujourd’hui le bassin de réception, recouvert de végétation, ne se ravine plus et que le torrent peut être considéré comme éteint, puisque le cône de déjection, au lieu de s’augmenter, se creuse de lui-même en encaissant le lit. Autrefois la terreur du pays, il a été transformé, moyennant une dépense d’environ 120,000 francs, en une rivière inoffensive[1].

Les mêmes résultats ont été obtenus partout où des travaux de même nature ont été entrepris, ainsi que le constate M. Gentil, ingénieur en chef des ponts et chaussées, dans un rapport cité par M. Cézanne[2]. « L’aspect de la montagne, dit-il, a brusquement changé ; le sol a acquis une telle stabilité que les violens orages de 1868, qui ont provoqué tant de désastres dans les Hautes-Alpes, ont été inoffensifs dans les périmètres régénérés.

« La montagne en peu de temps est devenue productive ; là où quelques moutons pouvaient à peine vivre en détruisant tout, on voit des herbes abondantes susceptibles d’être fauchées. Ce mode

  1. Compte-rendu des travaux de reboisement de 1867 et 1868.
  2. Étude sur les torrens des Hautes-Alpes, tome II.