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considéré comme une entreprise difficile et incertaine ; aussi la traversée du cône de Rioubourdoux s’effectuait à ciel ouvert, et la circulation était interrompue à chaque pluie, à chaque orage. L’administration forestière a mis en défends le bassin de réception et a commencé les travaux de consolidation. Le régime du torrent s’est modifié… et a rendu possible l’exécution de travaux définitifs à moins de frais…

« Ces exemples sont à mon avis très frappans et donnent une mesure des avantages réalisés. Quant aux bénéfices dont profitent les terres situées dans les vallées, près des cônes, ils sont immenses. Non-seulement les propriétaires sont délivrés d’endiguemens coûteux et précaires, mais encore leurs héritages, n’ayant plus à redouter d’être brusquement ensevelis sous les graviers, prennent une valeur certaine. On cultive avec l’espoir assuré de jouir de la récolte. Cette certitude est un bienfait énorme ; le propriétaire, comptant sur l’avenir, ne songera pas à s’expatrier. »

Le succès de cette importante opération du reboisement est donc complet, quant aux procédés employés et aux résultats obtenus, et, comme nous le verrons plus loin, il ne dépend que du gouvernement de l’assurer d’une manière définitive, en brisant les obstacles qu’elle rencontre encore. L’administration forestière a été à la hauteur de sa tâche, et le seul reproche qu’on puisse lui faire est d’avoir disséminé ses efforts et ses ressources, au lieu de les avoir concentrés sur une même point. Que l’opération ait été entreprise à la fois dans les différentes chaînes de montagnes, dans les Pyrénées, les Alpes, les Cévennes, c’était tout naturel ; mais, dans chacune d’elles, il eût été préférable de circonscrire un bassin tout entier et de ne l’abandonner que lorsqu’il aurait été complètement transformé. Dès 1862, M. Parade, directeur de l’école forestière, avec la sûreté de vues qui le caractérisait, avait indiqué cette marche comme la seule rationnelle. « Des différentes rivières, dit-il dans son rapport, qui sortent de la chaîne des Alpes et dont j’ai suivi le cours plus ou moins longtemps, la Durance est une de celles qui causent les plus grands désastres. Prenant sa source au-dessus de Briançon, elle traverse successivement six départemens sur une longueur de plus de 300 kilomètres, recueille dans son parcours de nombreux affluens, tous torrentueux et alimentés eux-mêmes par une multitude de torrens de montagne de la nature la plus dangereuse et cause première des ravages du fleuve. Le bassin de la Durance me semble donc résumer à la fois, pour la région des Alpes, toutes les difficultés que pourra rencontrer l’œuvre du reboisement des montagnes et toutes les misères auxquelles il s’agit de porter remède.