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des montagnards est telle qu’on les voit, pour se chauffer pendant quelques heures, brûler des arbres centenaires et faire brouter à leurs troupeaux de chèvres et de moutons les jeunes plants qui poussent entre les rochers. La nature se lasse de cette lutte journalière et abandonne à la stérilité des espaces jadis couverts de bois. Pendant que le pâtre mord peu à peu sur la lisière supérieure de la forêt, l’habitant de la vallée dentèle les bords inférieurs en poussant ses cultures toujours plus haut sur les pentes. Les champs de seigle et d’avoine plaquent de leurs taches jaunes les versans à des altitudes qu’ils n’auraient jamais dû atteindre et ameublissent un sol qui aurait surtout besoin d’être raffermi.

Les Alpes du comté de Nice empruntent aux Alpes françaises, dont elles sont un rameau, et aux Apennins, auxquels elle se rattachent, le double caractère de grandeur et de tristesse qu’elles offrent aux regards. Aussi élevées que les premières, elles sont aussi déchirées, aussi tourmentées que les derniers. Leurs vastes solitudes ne sont ni égayées par le chant des oiseaux, ni animées par la présence de l’homme. Vus du haut d’un des sommets, les villages épars au fond des vallées semblent, avec les cultures permanentes qui les entourent, des oasis au milieu d’un désert. Cette zone dépouillée de végétation s’étend jusqu’à la limite des forêts et ne laisse apercevoir ni maisons, ni chalets ; les bestiaux y vivent sans abri et les bergers n’ont d’autre refuge que quelques cabanes en pierre sèche. Voilà ce que les défrichemens inconsidérés et les abus du pâturage ont fait d’un coin de terre qui pourrait être un des plus beaux et des plus fertiles du monde[1].

Les prairies se divisent en prairies fauchables et en pâtures dont l’herbe est mangée sur pied. Les premières, suivant l’altitude qu’elles occupent et les soins dont elles sont l’objet, donnent des récoltes plus ou moins abondantes et des foins de plus ou moins bonne qualité. Irriguées et fumées dans les parties inférieures, elles produisent de 8,000 à 10,000 kilogrammes, tandis que, sur les sommets où l’herbe est courte et n’est fauchée qu’une fois, la quantité n’en dépasse pas 800 kilogrammes.

Les pâturages proprement dits se divisent en deux catégories, ceux que les bestiaux ne pâturent que pendant l’été, et ceux qu’ils pâturent pendant le printemps et l’automne. Ces derniers, situés à proximité des habitations, occupent généralement les versans méridionaux, où la neige fond de bonne heure, où l’herbe pousse aux premiers soleils. Aussi, dès le mois de mars, y lâche-t-on les

  1. Voir les Forêts et les Pâturages du comté de Nice, par M. Léonide Guiot, 1 vol. in-8o, 1875.