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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 43.djvu/66

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une certaine distance ; mais ceux qui vous approchent ne sentent que le pouvoir et la réputation ; l’éclat des actions, des écrits demande une autre perspective. Dans la société, ce qu’on a été nuit à ce qu’on est ; un ministre hors de place est une femme qui n’est plus belle, mais elle doit souhaiter de vivre avec ceux qui ne l’ont pas vu dans sa jeunesse.

Je le sais, sans doute on s’élève par l’âme, par la pensée au-dessus de ce petit cercle qui vous entoure ; on voit par-dessus leur tête les hommes de tous les temps et de tous les pays ; on voit l’éclat de la gloire et de la vertu, mais je le sens, sur le sommet des Alpes on est mieux placé pour l’appercevoir. Belle retraite pour mon père qu’une solitude dans un pays libre, après avoir servi un roi ! Belle retraite lorsque le cœur a conservé toute sa fierté ! Qu’il serait beau encore qu’on vînt là le trouver pour lui redemander de gouverner de nouveau la France ! Tout ce qu’il ferait là serait noble ; il pourrait à son choix refuser ou accepter ; ce ne serait pas comme Cincinnatus à sa charrue qu’on l’iroit chercher, mais plus près des cieux, et dans le pays où l’homme dans toute sa dignité est indépendant comme l’air qu’il respire. Ah ! je conçois comment mon père n’est heureux que là, comment il n’est content que là de lui-même. Ce mouvement des ambitieux l’agite ; ce spectacle des malheureux l’afflige. Ame noble, âme sublime, c’était dans la retraite, entre ta femme et ta fille, que tu retrouvais la paix de ton génie !

Mon père a sacrifié au goût de ma mère son penchant infini pour la Suisse ; il eût été malheureux de son malheur, mais il n’est pas heureux de son bonheur. Pour moi je le sais, je m’en afflige, je craignais mortellement qu’il voulût passer sa vie dans sa terre ; qu’il me pardonne, je n’ai pas encore assez fait provision de souvenirs pour vivre sur eux le reste de ma vie. Ce n’est point les illusions, les plaisirs qui me retiennent, mais mon cœur qui l’adore tremblerait cependant si la porte à jamais se refermait sur nous trois. Un moment encore et peut-être je le suis dans la solitude. Si par un malheur affreux il se trouvait sans autre lien que moi, je me devouerais à lui, j’arracherais toute autre idée de mon cœur. Il m’en couterait peut-être, mais si je le rendais plus heureux, un moment de sa joie vaut mieux que la peine de toute ma vie. Si de nouveaux devoirs me retenaient, je l’attirerais vers moi. Détournons ma pensée d’une image funeste ; souvent on se tourmente à se représenter des malheurs auxquels peut-être on ne survivrait pas.


La solitude effraie une âme de vingt ans


et point n’est besoin d’être Célimène pour éprouver ce sentiment. M. Necker pensait si peu, au reste, à refermer la porte de Coppet sur sa femme et sur sa fille, qu’il était précisément au moment de conclure le mariage de celle-ci avec M. de Staël. Ce qui achèverait de montrer, s’il en était besoin, que dans leur recherche d’un gendre