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n’y avait rien eu, mais bien précaire était la possession d’une ville qu’il fallait, au premier bruit, garder de la sorte. Au centre, dans le Tamaulipas, sur le littoral, la position restait la même, incertaine et hostile. Le succès s’avançait avec nos soldats, reculait avec eux, pas plus qu’eux ne s’établissait nulle part. Nous étions subis par ceux qui ne se retiraient pas devant nous et harcelés par les vaincus que nous faisions.

Le maréchal, mécontent, n’attendait plus qu’un événement de quelque importance pour se risquer avec sa fortune, soit au nord soit au sud. Il étouffait au milieu des mornes et ténébreuses illusions dont on le berçait et des déceptions qu’on voulait inutilement lui transformer en espérances ajournées. A tout hasard, il s’était préparé de longue main aux opérations du Nord. Au mois d’août, le colonel belge Vonder-Smissen, à Tacarubazo, avait pris au général dissident Ortega toute son artillerie. Presque en même temps, après avoir chassé l’ennemi du Tamaulipas, les deux colonnes du général Brincourt et du colonel Jeanningros avaient convergé par l’intérieur sur Saltillo et Monterey. Depuis, le Rhône, qui venait d’arriver de France, avait gardé à bord trois cents hommes du bataillon d’Afrique et les avait répartis entre Tuspan, dont on avait relevé les fortifications, et Tampico. Nos moyens étaient si faibles qu’on avait laissé le génie colonial à Tuspan, pendant le trajet de Tuspan à Tampico, pour le reprendre au retour et le ramener à la Vera-Cruz. La Diligente avait accompagné le Rhône pour appuyer les opérations par les rivières. De Vera-Cruz, le Rhône et le Tartare, qui allaient remplacer quelques jours la Tisiphone, afin qu’elle changeât son artillerie à Vera-Cruz et se reposât un peu, repartirent pour le Rio-Grande, chargés de porter des munitions et des vivres au général Mejia, dont la situation menaçait de devenir fort grave.

Ainsi, pendant que les Américains paraissaient concentrer sur le Rio-Grande une armée de soixante-dix mille hommes et le matériel de chalands et de bateaux nécessaires pour passer le fleuve, les troupes du maréchal avançaient vers le nord. Quant aux libéraux de Juarez, ils occupaient la ligne de Montclara à Reynosa, ce qui faisait supposer qu’ils attendaient le signal des Américains pour opérer avec eux. Quelque imminentes que fussent les hostilités, le maréchal cependant, les regards et les désirs tournés en arrière, ne se fût peut-être pas encore décidé à s’engager à Matamoros, si un acte d’une barbarie sauvage, en lui dessillant les yeux, ne lui eût montré de quelle haine implacable étaient animés les libéraux du Sud et combien peu il y avait à compter sur eux.

Le 7 octobre, des bandits, se qualifiant de force libérale, après avoir enlevé les rails d’un tournant, avaient attaqué le chemin de